Le sevrage du poulain, comment faire ?

A l’état naturel, le sevrage du poulain a lieu en moyenne vers dix mois, quand la mère est à nouveau prête à mettre bas. Le jeune arrête alors de téter, mais il reste avec sa mère jusqu’à sa maturité sexuelle. En élevage, les poulains sont généralement séparés de leur mère vers cinq ou six mois voire plus tôt. Ce sevrage artificiel et précoce entraîne un stress important, une perte d’état physique, voire l’apparition de stéréotypies. L’idéal serait donc probablement d’attendre un âge tardif pour séparer la mère de son poulain, et que cela se fasse à l’initiative de la mère et du poulain plutôt que par la volonté de l’Homme. Mais malheureusement, les contraintes de l’élevage font que ce sevrage naturel est relativement difficile à mettre en place. Pour diminuer le stress du sevrage artificiel, différentes mesures ont été testées.

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Niveau de technicité :
poulain orphelin
Sommaire

Une séparation progressive ou brutale ?

Séparation progressive ?

sevrage progressif en stabulation
Sevrage progressif : poulains au premier plan, juments dans la stabulation adjacente © M. Vidament
Certains éleveurs habituent progressivement les poulains à se séparer de leur mère, pendant les quelques semaines qui précèdent le sevrage. Pour objectiver les impacts de cette pratique, l'Inra de Nouzilly et l'Ifce ont testé l'effet de séparations quotidiennes de durée croissante, de 15 minutes à 6 heures, pendant 4 semaines, entre les 5ème et 6ème mois de vie des poulains, avant le sevrage effectif (Lansade 2016, 2017, 2018). Au cours des périodes de séparation, les poulains se trouvaient en groupe, en alternance en stabulation ou au paddock, avec une possibilité de contact visuel/olfactif avec leur mère. Les animaux étaient répartis de part et d'autre d'une clôture en tubulaire à laquelle ils étaient habitués (cf. photo). Pendant les séparations, poulains et juments étaient nourris avec leur ration de transition respective.


Le jour du sevrage effectif (séparation totale mères/poulains), les vocalises ont été 2 fois moins nombreuses pour les poulains du lot « sevrage progressif » que pour le lot témoin sevré en une fois. Les poulains ont également trois fois moins trotté. De plus, ces poulains se sont montrés moins peureux, moins grégaires et moins actifs 3 mois après le sevrage.

Des indicateurs physiologiques tels que le cortisol salivaire ou des analyses plus poussées du transcriptome (tous deux révélateurs de stress) montrent clairement un impact positif du sevrage progressif chez les poulains, mais également chez les mères. Ces effets perdurent encore un mois après le sevrage pour les poulains (Lansade, 2018). Des analyses de la composition du contenu intestinal des poulains montrent que le sevrage affecte profondément cette composition dans les 2 groupes de poulains et que les poulains sevrés progressivement ont plus de levures propices à une bonne fermentation intestinale (Mach, 2017).

Séparation physique par une clôture

Toujours dans le but de limiter le stress, deux autres types de sevrage ont été comparés (Mc Call, 1987). Dans le premier type, les mères étaient emmenées à environ huit kilomètres des poulains, de telle sorte qu’elles n’aient plus aucune possibilité d’avoir de contacts avec leur jeune.

Dans le deuxième type, les poulains étaient simplement tenus à l’écart de leur mère par une barrière pendant 7 jours. Ainsi, ils pouvaient continuer de se voir, se sentir et s’entendre. Les résultats ont montré que séparer les poulains des mères par une barrière était moins stressant que les séparer complètement. Ce qui a été confirmé par des dosages physiologiques dans une autre étude (Bruschetta, 2017). On peut envisager alors de les habituer de cette façon, avant de les séparer définitivement.

Sevrer individuellement ou par paire ?

Sevrer les poulains en paire, par affinités
Sevrer les poulains en paire, par affinités © L. Marnay
D’autres auteurs ont proposé de ne pas isoler totalement les poulains en box individuel après le sevrage, mais de les laisser avec un congénère. Houpt et al. (1984) ont ainsi montré que des poulains hébergés par paire après le sevrage vocalisaient et s’agitaient moins que s’ils étaient placés en box individuel.

Cependant, une étude complémentaire menée par Hoffman et al. (1995) a montré que les poulains sevrés en paire hennissaient effectivement moins, mais pouvaient être en revanche agressifs entre eux. Cela peut conduire à des blessures, voir un stress supplémentaire. Si cette méthode de sevrage par paire est choisie, il convient donc de s’assurer au préalable que les poulains se connaissent bien et ne sont pas agressifs entre eux avant le sevrage. Il est ensuite nécessaire de les surveiller attentivement afin d’intervenir en cas d’agressivité.


Sevrer en groupe au paddock

Sevrage en groupe au paddock
Sevrage en groupe au paddock © Ifce
Si l’éleveur en a la possibilité, le mieux reste néanmoins de sevrer les poulains en groupe au paddock. C’est ce que montre l’étude de Heleski et al. (2002) qui a comparé un lot de poulains sevrés en boxes individuels de 13m2 et un lot de poulains sevrés en groupe, par trois, dans des paddocks d’environ 1000m2.

Les poulains en box ont manifesté davantage de comportements « aberrants » comme des léchages ou mordillements des murs et barreaux, des coups contre les murs ou des séquences de ruades et cabrés.

A l’inverse, les poulains sevrés au paddock par trois ont eu un budget temps proche de celui des chevaux sauvages. Ils bougeaient plus, pâturaient plus et ont eu de nombreuses interactions sociales.

Enlever les mères progressivement

Si le sevrage en groupe apparaît comme le moins stressant, on peut alors se demander de quelle façon il convient de retirer les mères du troupeau. L’étude de Wulf et al. (2008) a permis de comparer un lot de poulains dont les mères ont toutes été retirées le même jour avec un lot de poulains dont les mères ont été retirées progressivement, au rythme d’une par jour. Le fait de retirer toutes les mères d’un coup entraînait plus de comportements de stress chez les poulains, comme des vocalisations, des défécations en plus grand nombre et une perte de poids plus importante. Le fait de retirer les mères une à une semble donc à privilégier.

Et pourquoi ne pas bénéficier du sevrage spontané ?

L’étude de Henry et al. (2018) a suivi le devenir de poulains sevrés naturellement par leurs mères gestantes, dans des troupeaux en Islande gérés à l’extérieur, sur de grandes surfaces. Le sevrage spontané a eu lieu à 8-10 mois. Aucun poulain n’a montré de comportements aberrants après sevrage, ni n’a retenté de téter. Le sevrage n’a induit aucun changement dans le budget-temps des poulains et dans les relations mère-poulain. Les juments n’ont pas perdu d’état. Afin d'éviter toute saillie non souhaitée, il faut en revanche enlever les poulains mâles à 11-12 mois. Cette technique devrait être utilisée plus couramment dans les petits élevages.

Préparer la transition alimentaire avant la séparation

Préparation de la transition alimentaire pour le sevrage
Préparer la transition alimentaire des poulains © A.C. Grison
Une autre façon de limiter le stress lié au sevrage est de préparer la transition alimentaire. Nicol et al. (2005) ont montré que les poulains nourris avec une alimentation riche en matières grasses et en fibres étaient plus calmes juste après le sevrage que des poulains nourris avec une alimentation riche en sucres et en amidon. Par ailleurs, selon les travaux de Hoffman et al. (1995), les chevaux dont l’alimentation est supplémentée en phosphore, zinc, cuivre et fer avant le sevrage hennissent moins, mangent davantage et ont un taux de cortisol inférieur lors de la séparation par rapport à des chevaux nourris à base d’herbe et de fourrage sec.


De plus, il est préconisé d’augmenter le temps que les poulains passent à s’alimenter. Pour cela, il faut augmenter la fréquence des repas et distribuer des fourrages variés et moins de concentrés. Cette attention portée à l’alimentation est un moyen facile à mettre en oeuvre pour favoriser un bon sevrage.

Hébergement après sevrage

Enrichir l'environnement des poulains

Le mode d’hébergement ainsi que l’alimentation après le sevrage sont également des éléments importants à prendre en compte. Les poulains hébergés exclusivement au pré ont ainsi moins de risques de développer des comportements anormaux (Parker, 2008).

Parfois, notamment l’hiver, il est difficile de laisser les poulains au pré toute la journée. Dans ce cadre, des essais ont comparé des poulains de 10 mois dans des conditions de vie enrichies au box (fourrages et stimulations divers, sortie quotidienne avec des congénères) à d’autres en conditions « appauvries » (box, litière copeaux, foin, paddock individuel) pendant 12 semaines (Lansade, 2011). Des effets sur le comportement à l’écurie et le tempérament ont été notés. Les poulains du lot appauvri étaient plus peureux, plus réactifs à l’Homme et sensibles tactilement. En outre, les chercheurs ont observé un impact de ces traitements sur la transcription des gènes avec une activation des gènes du développement cellulaire dans le lot « enrichi » et de ceux de la mort cellulaire dans le lot « appauvri ».

Inclure des adultes dans les groupes de poulains

Il est également conseillé d’inclure des adultes dans les groupes de jeunes.

Le stress du sevrage est également moins prononcé lorsque les poulains sont sevrés en présence d’adultes femelles familières, par rapport à des poulains sevrés en l’absence d’adultes. Il peut s’agir par exemple de poulinières non suitées non retirées du lot (Erber, 2012).

La présence d’adultes a pour effet de réduire les comportements agonistiques (agressivité) et d’établir des associations préférentielles entre les membres du groupe. Ceci a été montré quand on introduit des adultes non familiers dès le sevrage (Henry, 2012) ou plus tardivement dans des groupes de jeunes de 1 ou 2 ans (Bourjade, 2008).

Profiter du sevrage pour les manipuler

Manipulation du poulain au sevrage
Le sevrage : un moment opportun pour manipuler les poulains et commencer à les éduquer © Ifce
Probablement en raison des bouleversements qu’il entraîne, le sevrage est un moment opportun pour manipuler les poulains : leur apprendre à être brossé, à donner les pieds, à marcher en main...

Une étude (Lansade, 2004) a en effet montré que les jeunes chevaux étaient plus faciles à manipuler immédiatement après le sevrage que si l’on commence les manipulations 3 semaines après. Ces manipulations sont aussi plus efficaces et durables puisque leurs effets perdurent au-delà de 18 mois. Cette période peut donc être mise à profit pour éduquer le jeune.

Ce qu'il faut retenir

Les besoins du poulain à 6 mois sont ceux d’un cheval adulte : contacts sociaux, diversité sociale, alimentation quasi-continue avec du fourrage à volonté (herbe ou foin) et espace de liberté.

Le sevrage artificiel entraîne un profond stress d’ordre alimentaire, émotionnel, social. Les poulains risquent alors de perdre du poids, de développer une réactivité exacerbée et des stéréotypies (tics).

Pour réussir le sevrage, il faut attendre les 6 mois de vie du poulain, commencer les autres changements (alimentation, logement...) au moins 3 semaines avant si possible, puis choisir la technique de sevrage la moins stressante pour le poulain en fonction des contraintes.

Les techniques suivantes sont rangées dans l’ordre croissant du stress pour le poulain : sevrage spontané, séparations incomplètes (barrière à claire-voie) (pour poulains en intérieur), retrait des mères une par une (pour poulains en extérieur, avec bonnes clôtures) et retrait de toutes les mères ensemble.

Ensuite, mettre les poulains en groupe ou au moins par deux, avec un adulte familier, et les laisser le plus possible au pré, sinon les sortir tous les jours (au minimum 2h).

Dans tous les cas, une observation attentive du comportement des poulains et des mères lors de cette étape cruciale du développement permettra d’intervenir rapidement en cas de problème.

En savoir plus sur nos auteurs
  • Léa LANSADE Ingénieure de recherche en éthologie IFCE-INRAE
  • Marianne VIDAMENT Docteur vétérinaire - ingénieure de projets & développement « Éthologie » et « Médiation équine » IFCE
  • Laetitia LE MASNE Ingénieure de développement IFCE

Bibliographie

En français

  • HENRY S. et HAUSBERGER M., 2015. Synthèse sur les influences maternelles de la naissance au sevrage et applications aux conduites d'élevage. Journée de la Recherche Équine, Paris, pages 93-102.
  • HENRY S., SIGURJÓNSDÓTTIR H., KLAPPER A., JOUBERT J., MONTIER G. et HAUSBERGER M., 2018. Le sevrage spontané du poulain : facteurs de variation et impact sur le lien jument-poulain. 44ème Journée de la Recherche Équine, Paris, pages 4-13.
  • LANSADE L. et FOURY A., 2017. Effets du stress induit par le sevrage sur les indicateurs comportementaux, physiologiques et transcriptomiques : analyse comparative d’un sevrage progressif et d’un sevrage brutal. Journée de la Recherche Équine, Paris, pages 4-6.
  • LANSADE L., LEVY F., GUETTIER E., REIGNIER F., BOUVET G., SOULET D. et VIDAMENT M., 2016. Le sevrage : quelles sont les recommandations issues de la recherche équine ? 42ème Journée de la Recherche Équine, Paris, pages 87-94.
  • LANSADE L., NEVEUX C., COOREVITS S. et LEVY F., 2010. Effet de onze jours de mise en box individuel sur les performances d'apprentissage et la réactivité des yearlings. 36ème Journée de la Recherche Équine, Paris, pages 141-51.
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En anglais

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Pour retrouver ce document: www.equipedia.ifce.fr
Date d'édition : 14 05 2024

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