La muserolle : la serrer, une habitude contre nature

Tous les avis, qu’ils soient vétérinaires ou scientifiques, concordent sur la nuisance du serrage abusif des muserolles. Ils confirment les préconisations des grands auteurs de l’équitation classique et les écrits modernes de nombreux écuyers, fidèles à l’esprit de l’Équitation de tradition française. La connaissance vétérinaire et les observations de la science rejoignent la réflexion équestre sur les dangers d’un serrage abusif des muserolles. Cette fiche multiplie les exemples qui démontrent que le serrage de la muserolle est nuisible à la santé, à la performance et au bien-être du cheval.

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Par Patrick GALLOUX - Isabelle BURGAUD - | 19.10.2020 |
Niveau de technicité :
serrage de la muserolle
Sommaire

Introduction

effets d'un serrage abusif de la muserolle
Exemples d'effets d’un serrage abusif et récurent de la muserolle © A. Laurioux et P. Galloux
Après la fiche sur le choix, l’emploi et l’ajustement de la muserolle, ce document a pour objet de sensibiliser cavaliers, entraîneurs et enseignants sur les dangers du serrage de la muserolle. Nous verrons successivement :

  • La vision du cavalier
  • Le point de vue du vétérinaire
  • Et l’actualité scientifique

Toutes ces données objectives devraient nous convaincre de retrouver les préconisations « classiques » pour le bien-être du cheval et l’optimisation de sa performance.

La nuisance du serrage de la muserolle

Les effets néfastes directs

Cité par de nombreux scientifiques, le serrage complet de la muserolle, aggravé par l’usage d’une muserolle « pull-back », provoque :

  • Une gêne physiologique (Doherty, 2017) :
    • Un frein à la respiration causé par la pression importante sur le nez et sur le chanfrein.
    • Une altération de la circulation sanguine, par la compression des vaisseaux de la tête.
    • Une impossibilité à déglutir (avaler), qui se manifeste souvent par une forte production de salive.
  • Une impossibilité d’exprimer sa douleur ou sa peur et même sa décontraction (Doherty, 2017).
  • Une augmentation du stress qui se traduit notamment par une accélération de la fréquence cardiaque (Fenner, 2016).

Cette situation semble toucher au moins 20% des cavaliers, qui constatent des complications physiques et comportementales liées à l'utilisation de la muserolle (Weller, 2020).

Les dégâts à moyen terme

A moyen terme, les dégâts sont apparents, comme le montre l’éventail des suros ou des atteintes de la peau et des poils (voir photos ci-dessous).

suros et lésions cutanées sur le chanfrein suite à un serrage abusif de la muserolle
Exemples de suros et de lésions cutanées sur le chanfrein, suite à un serrage abusif de la muserolle © V. de Saint Vaulry


Nous verrons dans la suite de ce texte que, si le serrage abusif provoque les traumatismes précités, même un serrage modéré (inférieur à l’écartement recommandé de deux doigts) peut parfois entraîner des inconvénients sur la performance du cheval, la qualité de ses allures et son comportement.

La vision du cavalier

De l'équitation classique à la situation actuelle

Il n’est pas inutile de commencer par quelques citations d’anciens écuyers, dont certains furent Écuyer en chef du Cadre noir de Saumur.

« "Le liant de la nuque doit être une conséquence de celui de la mâchoire dont la cession doit toujours précéder celle de la nuque" La légèreté à la main en découlera, et on peut donc se demander comment on pourrait l'obtenir la mâchoire bloquée »

► Dans cette citation, le Général DECARPENTRY (cité par le Colonnel CARDE) rappelle l’ordre des choses et l’impossibilité d’obtenir la légèreté avec une mâchoire fermée, comme une muserolle serrée peut le faire.

« Le fait d'avoir une multitude d'artifices pour canaliser le cheval ne permet plus de l'entendre. On ne peut pas écouter un cheval que l'on fait taire »

► Dans ces deux phrases, le Vicomte d’AURE souligne que, le cheval transmettant ses sensations notamment par la bouche, il est contreproductif de le « bâillonner ».

« En exigeant dès les étapes intermédiaires, une stabilité et une mise en main inaltérables, on incite les cavaliers à confondre la cause et l’effet […] C’est la porte ouverte aux rameners artificiels, aux enrênements, aux effets de force… »

► Enfin, le Général DURAND trouve une explication des dérives observées par les nouvelles exigences de la compétition, où l’on met en avant la précision du tracé et le geste spectaculaire au détriment de la qualité du mouvement. Comme de nombreux connaisseurs, il regrette l’exigence des épreuves de début, qui contraignent le jeune cheval dans une formation accélérée.

Il est également probable que l’amélioration évidente de la qualité des chevaux de dressage, aux « grosses » locomotions, peut orienter les cavaliers vers une exploitation des qualités plutôt qu’à leur développement, voire leur maintien.

Le profil des compétiteurs a également sensiblement évolué, avec une orientation précoce vers le dressage, sans avoir connu des disciplines plus à risque comme les courses ou le concours complet. Le serrage de la muserolle, comme d’ailleurs l’attitude de l’hyperflexion, peuvent les rassurer par l’impression que ces pratiques donnent de pouvoir dominer les forces du cheval.

Enfin, le jugement actuel, par ses exigences, ses critères de notation ou l’absence d’effet sur les notes lors de comportements ou d’attitudes, qui autrefois étaient systématiquement pénalisées, ne peut qu’encourager une équitation différente et de nouvelles pratiques.

La vue classique du dressage du cheval

Pour les auteurs classiques, la décontraction de la mâchoire est une constante dans le travail du cheval et l’obtention du rassembler. Le cheval ne doit être ni « muet » ni « bavard ».

Classiquement, le rassembler présente 4 composantes : le ramener, l’engagement, la flexibilité et la légèreté. Sans vouloir discuter de leur ordre et de leur interdépendance, ces qualités sont toutes liées à la mobilité de la mâchoire et sa cession, et seront contrariées par le serrage de la muserolle.

Le ramener

Le ramener, qui voit passer l’angle du chanfrein de 45° vers un rapprochement de la verticale, est décrit par le Général L’HOTTE comme « le soutien et la décontraction du bout de devant (absence de résistance) ». Il suit la transition du « cheval sur la main » au « cheval en main ».

Le cheval « sur la main » tend les rênes (sur la poussée des postérieurs) sur un contact souple, moelleux, qualité qu’il ne peut avoir qu’en pouvant à discrétion mâcher son mors. Le Colonel MARGOT parle d’une bouche « aimable ».

De même, le cheval « en main » interprétera, immédiatement et sans effet de force, les actions de main du cavalier avec une bouche décontractée et attentive. « Dans la mise en main, le cheval doit avoir la mâchoire "tranquille", et ne la mobiliser moelleusement qu’à la demande de son cavalier » (Colonel MARGOT d’après le Général DURAND).

L’engagement

Loin de n’être que le résultat d’une force musculaire ou un indicateur de la souplesse de l’arrière-main, l’engagement témoigne de la décontraction générale. Celle-ci peut se décrire comme « le tonus du muscle sans tension inutile », condition de la qualité de la plupart des gestes sportifs. Ce relâchement doit aussi permettre de ne mettre en action que les muscles nécessaires pour faire un effort ; l’allure peut alors se produire naturellement sans rupture de rythme.

En ne forçant pas les muscles et les articulations, travailler dans la décontraction permet de ne pas user prématurément des chevaux qualiteux, de ne pas solliciter des chevaux de constitution défectueuse et donne une chance d’améliorer des chevaux aux qualités modestes.

La flexibilité

La flexibilité, cette aptitude qui permet de varier les allures et d’enchaîner les mouvements, s’étend de l’encolure vers le dos puis aux hanches. Elle ne peut donc être obtenue sans une encolure en tension « souple », avec une base sortie, avec une nuque qui est passée au-dessus de la bouche par elle-même, sans effet de force. Cette qualité est conditionnée par la décontraction de la mâchoire. Très liée à l’impulsion, la flexibilité témoigne d’une parfaite maîtrise de celle-ci, dont les débordements ne sont plus à gérer par le cavalier mais contenus par le cheval, par la force de son corps et sa compréhension dans les attentes.

La légèreté

« Liée à la flexibilité, combinée à l’activité des postérieurs, la légèreté est le témoin de la capacité du cheval, au moindre effort (de son cavalier), à déplacer en tous sens sa masse, dont la base de sustentation réduite par le rassembler, a été, de ce fait, rendue éminemment instable » (Colonel MARGOT, d’après le Colonel De BEAUREGARD).

La légèreté ne se révèle qu’en présence d’actions de main de faible intensité, qui ne peuvent exister qu’avec la décontraction de mâchoire. Le Général DURAND parlait « d’un contact qui tend vers zéro sans jamais s’annuler ». La mobilité de la mâchoire est vraiment le témoignage de la légèreté, si réduite à un léger « murmure » elle ne se produit que lorsque le mors agit, pour cesser ensuite (Colonel MARGOT, d’après le Général DURAND).

L’échelle de progression et la vue actuelle du dressage

grille de progression
Grille de progression, en cours de révision (FFE)
Le rassembler est situé au sommet de l’échelle de progression ; il est précédé de plusieurs étapes qui sont toutes influencées par le serrage de la muserolle.

La rectitude

Nous verrons dans le chapitre sur le point de vue du vétérinaire que la restriction de mobilité de la mandibule/maxillaire peut être la cause d’une perte de la rectitude du cheval. Il va se traverser sur le plat ou se décaler à l’obstacle.

L’impulsion

L’impulsion est « le désir du cheval de se porter en avant, avec toute son énergie et en y appliquant toutes ses forces musculaires ». Elle est caractérisée par l'engagement des postérieurs et l'énergie de leur détente. Dans son approche (voir plus loin), le vétérinaire montre, par plusieurs approches, l’influence du serrage de la muserolle sur le geste des antérieurs et l’engagement des postérieurs.

La qualité du contact

La qualité du contact, plus encore que la seule valeur de la tension (force exercée), est la résultante d’un contact « souple », agréable, élastique et permanent. Cette qualité ne peut s’obtenir sur une bouche dure, verrouillée chez un cheval contracté ou « bridé » par l’usage d’une muserolle serrée.

La « souplesse décontraction »

Comme expliquée précédemment, la décontraction de la bouche est nécessaire à la décontraction générale et témoigne de l’économie des forces.

La correction de l’allure

Comme chez le sportif, une dentition en bonne santé et une mâchoire non serrée doivent être recherchées pour obtenir l’allure la plus naturelle et le geste le plus efficace. La présentation du dispositif « Allégeoir », dans le chapitre suivant, illustre ce concept.

La cession de mâchoire

Dans la cession de mâchoire, à pied ou monté, le cheval ouvre légèrement la bouche, transmet son acception de la demande du cavalier et se relâche, permettant la flexion de nuque. Elle est obtenue d’abord latéralement, et débutée avec un croisement d’un postérieur, puis « directe », toujours encolure haute, parotide dégagée grâce au relâchement recherché. Ce geste, autrefois enseigné et pratiqué même en équitation d’obstacles (Jean d’ORGEIX, Jean-Marie DONARD), semble largement oublié. Il est remplacé par les injonctions « Flexion à droite, flexion à gauche » de certains entraîneurs, qui, a priori, ne s’intéressent qu’à la fermeture de la nuque et sans se préoccuper de sa hauteur.

Ce petit préambule technique est l’occasion de rappeler des règles ou des termes oubliés, qui ne sont plus enseignés. Peut-être parce que ces demandes sont impossibles à obtenir avec une muserolle serrée :

  • « Il n’existe plus de "remise de main", de "descente de main", puisque le cheval reste "collé à la main" » (Général DURAND).
  • « Il est impossible d’obtenir une cession préparatoire à un nouveau mouvement (de côté) ou une transition » (Colonel de BEAUREGARD).
  • Les « vibrations » avec les doigts sur une rêne pour décontracter la mâchoire, chers à Jean d’ORGEIX, ont disparu. Pour d’autres, la rêne de bride n’est utilisée que comme un simple abaisseur (ou « rameneur ») et pas comme le lien « de précision » avec la bouche du cheval.
  • On n’entend plus parler de « dissociation des appuis », en double filet ou en bride, dont Jean-Marie DONARD loue l’intérêt.
  • Jean D’ORGEIX rappelait pourtant à ses cavaliers d’obstacle, « pas de cession de nuque sans mobilité de la mâchoire ».
  • Et pour reprendre l’image de Bernard MAUREL (note sur « la notion du contact ») illustrant le contact sur les rênes, « la comparaison idéale est celle de l’adulte qui tient la main d’un enfant dans la rue, qui ne le lâche pas mais qui ne lui écrase pas les doigts ».
En conclusion de cette partie, le serrage de la muserolle est antinomique d’une équitation saine et réfléchie, qui se réfère à l’Équitation de tradition française des auteurs classiques ou au guide actuel de l’échelle de progression destiné aux cavaliers de compétition de dressage.

Le point de vue du vétérinaire

Quelques rappels anatomiques

Ce préambule a pour objet de rappeler l’anatomie de la tête du cheval et de préciser le fonctionnement de la mâchoire.

La mâchoire

La mâchoire est constituée de deux parties : le maxillaire (en région supérieure) et la mandibule (en-dessous) permettant la mastication. Sur ces deux structures, on peut observer (cf. illustration ci-dessous) la présence de foramens (foramen infra orbitaire et foramen mentonnier) par lesquels vont sortir les nerfs crâniens pour rejoindre la surface.

maxillaire, mandibule et foramens
Maxillaire, mandibule et deux foramens permettant le passage de nerfs crâniens (l’accolade bleue délimite les 3 prémolaires inférieures/supérieures, la verte les 3 molaires inférieures/supérieures) © I. Burgaud (dessin d’après Barone)

Au-dessus de la mâchoire, se trouve l’os nasal (en orange sur le dessin ci-après). Il pourra être plus ou moins long en fonction des chevaux (variante anatomique).

La bouche et les dents

Chez le cheval, la pousse dentaire est continuelle tout au long de sa vie. La table dentaire n’étant pas plane mais oblique (cf. illustrations ci-dessous), on comprend aisément pourquoi la pousse des pré-molaires et molaires supérieures se fera principalement vers l’extérieur (en direction des joues) et celle des dents inférieures vers l’intérieur (en direction de la langue).

os nasal et obliquité de la table dentaire
Vue de la mâchoire du cheval avec l’avancée du fragile os nasal (à gauche) et l’obliquité de la table dentaire, spécifique au cheval (à droite) © I. Burgaud (dessin d’après Salanie)

L’apparition de surdents (ou « pics dentaires ») suite à un défaut d’entretien de la bouche pourra donc conduire, entre autres, à une agression de la muqueuse recouvrant l’intérieur des joues (cf. illustration ci-dessous). Ces blessures s’aggraveront si la muserolle utilisée est trop serrée.

surdents et ulcères de la joue
Exemples de blessures (ulcères) de la joue, provoquées par des surdents sur les prémolaires du haut © Moore Equine Dental Services
points de pression tête du cheval
Répartition des pressions en 3 points : les incisives, les prémolaires et molaires, l’articulation temporo-mandibulaire (ATM) © T. Allen (Manual of equine dentistry)

La mâchoire du cheval présente trois principaux points de pression (cf. illustration ci-dessus) : la table des incisives, la table des prémolaires et molaires et l’articulation temporo-mandibulaire (ATM).

Le fonctionnement physiologique de la bouche

Pour mastiquer, le cheval réalise différents mouvements (cf. illustration ci-dessous) :

  • Ouverture/fermeture
  • Diduction (mouvement latéral droite-gauche)
  • Mouvement rostro-caudal

mastication
Illustration du mouvement en 8 lors du cycle masticatoire chez le cheval, avec un mouvement latéral et rostro-caudal © Baker et Easley (2005)


Chez le cheval comme chez l’homme, la flexion de la tête (regard orienté vers le sol) ou l’extension de la tête (regard orienté vers le ciel) font glisser la mandibule par rapport au maxillaire. La flexion nuchale provoque l’avancée de la mandibule, l'extension son recul (cf. illustrations ci-dessous). Faites le test ! Cette liberté de mouvement est très importante chez le cheval, aussi bien pour l’équitation que pour s’alimenter.

effets de la flexion/extension nuchale sur la position de la mandibule
Flexion nuchale (flèche bleue) qui fait avancer la mandibule (flèche rouge vers l’avant) et extension nuchale (flèche orange) qui la fait remonter (flèche rouge vers l’arrière) © A. Laurioux
mouvement rostro-caudal
Mouvement rostro-caudal : glissement de la mandibule sur le maxillaire lors d’une extension de la tête © T. Allen et al. (2008)


Les nerfs et vaisseaux de la face

La face est très vascularisée et très richement innervée (cf. illustrations ci-dessous), avec une innervation motrice, mais également sensitive. On citera trois grands nerfs crâniens :

  • Le nerf facial (c’est principalement le rameau buccal dorsal qui va nous intéresser par rapport à la muserolle).
  • Le nerf infra-orbitaire (branche V2 du trijumeau) qui sort par le foramen infra orbitaire situé en regard de l’extrémité proximale de l’apophyse zygomatique, quelques centimètres au-dessus.
  • Le nerf mentonnier (branche V3 du trijumeau) qui sort par le foramen mentonnier au niveau du passage du noseband ou des muserolles allemande ou croisée.

vaisseaux et nerfs de la tête
Schéma des vaisseaux (bleu et rouge) et des nerfs (jaune) sur le chanfrein © Barone (image de gauche) et Anatomy of the horse, Budras (image de droite)

L’impact d'une muserolle serrée

L’impact du serrage sur la bouche et son fonctionnement

Le verrouillage de la mâchoire par une muserolle serrée restreindra les mouvements de la mandibule par rapport au maxillaire (cf. illustrations précédentes) dans les 3 directions de l’espace. Le cheval ne pourra plus « machouiller » et avaler sa salive deviendra plus difficile.

La conséquence du serrage sur une bouche mal entretenue

Lorsque la bouche n’est pas entretenue régulièrement, des pointes dentaires se développent sur les prémolaires et molaires vers l’intérieur de la bouche au niveau de la mandibule (cf. image de droite, avec des blessures du palais associées, sur l'illustration ci-dessous) et vers l’extérieur au niveau du maxillaire (cf. rappels anatomiques).

pointes et lésions de la bouche
Exemple de pointe sur la première prémolaire (à gauche) et sur la dernière molaire (à droite) © Dr P. Lecollinet (image de gauche), dessin d’après T. Allen (Manual of equine dentistry, au centre) et Moore Equine Dental Services (image de droite)

Mais un deuxième phénomène encore plus handicapant pour le cheval intervient si le dentiste n’est pas équipé de râpes suffisamment fines pour aller râper les dernières molaires tout au fond de la bouche. Apparaît alors une pointe sur la dernière molaire inférieure (cf. illustration ci-dessus, image du milieu) entraînant le développement d’une pointe compensatrice sur la première prémolaire (cf. illustration ci-dessus, image de gauche), juste à l’emplacement du mors.

On imagine aisément qu’une fois la bouche fermée par une muserolle bien serrée, les mouvements rostro-caudaux de la mandibule par rapport au maxillaire sont irréalisables. La bouche devient « morte » et la nuque se fige, entraînant des répercussions posturales.

Par ailleurs, toute lanière placée en avant du mors (noseband, muserolle allemande ou croisée) risque de pincer la commissure des lèvres contre le mors. Cette situation s’aggrave généralement en présence d’une (ou 2) dent(s) de loup. Il s’agit d’une petite dent en pointe qui pousse, chez certains chevaux, juste en avant de la 1ère prémolaire supérieure (cf. illustration ci-dessous). Lorsqu’elle est présente, cette dent surnuméraire entraîne non seulement des sensations désagréables pour le cheval quand le mors entre en contact avec elle, mais augmente aussi le risque d’apparition d’ulcères à la commissure par pincement de cette dernière entre le mors et la dent de loup.

noseband, dents de loup et blessures de la bouche
Effet d’une lanière en avant du mors (noseband, muserolle allemande/croisée - à gauche), un ulcère à la commissure des lèvres (au centre) et une dent de loup (à droite) © Dr P. Lecollinet, dessins d’après T. Allen (Manual of equine dentistry)


Soyez vigilants si vous êtes amenés à utiliser un noseband ou une muserolle allemande ou croisée avec un cheval présentant des dents de loup.
L’effet du serrage sur les vaisseaux et nerfs de la face

Pour se convaincre des potentielles compressions de ces structures par les différents éléments du filet, il suffit de superposer les deux (cf. illustrations ci-dessous).

trajet des vaisseaux et des nerfs sous le filet
Trajet des vaisseaux (veines en bleu, artères en rouge) et des nerfs (en jaune) sous les différents éléments du filet (de gauche à droite : muserolle française, muserolle croisée, muserolle allemande) © P. Galloux (d'après les dessins de Barone)
trajet des vaisseaux et des nerfs sous des bridons anatomiques
Trajet des vaisseaux et des nerfs sous des bridons anatomiques (de gauche à droite : Micklem, Stübben Feeedeom, Dy'on X-Fit) © P. Galloux (d'après les dessins de Barone)

Si vous portez votre attention sur les vaisseaux passant devant la joue et l’apophyse zygomatique, vous constaterez le potentiel écrasement des veines et artères contre les surfaces osseuses de la face en cas de serrage abusif de la muserolle. Les nerfs seront eux-aussi comprimés :

  • Le nerf infra orbitaire sera comprimé par la muserolle.
  • Le nerf mentonnier sera comprimé par le noseband ou la lanière d’une muserolle allemande ou croisée.
  • Et le nerf facial sera comprimé par les montants de la muserolle et du filet et par certaines muserolles.

L’effet sur la performance

L’importance de l’occlusion

dissymétrie table dentaire
Etude de l’influence d’une dissymétrie artificielle de la table dentaire chez le rat - avant application du composite (A), une semaine après application (B) et une semaine après rééquilibrage de l’occlusion (C) © Attillio et al. (2005)
Dans ce chapitre, nous allons nous intéresser à l’occlusion (engrènement des dents de la mâchoire supérieure avec celles de la mâchoire inférieure). C’est un sujet bien connu chez l’athlète humain et que l’on retrouve chez le cheval. L’expérience faite avec un rat, dont on modifie l’occlusion par l’introduction d’un composite d’un seul côté de la mâchoire, illustre bien le lien entre celle-ci et la posture. L'illustration ci-contre nous montre ces répercussions.

On imagine aisément que l’effet sera similaire chez l’homme ou le cheval lorsque l’occlusion sera perturbée par une dissymétrie de la table dentaire.


lien bouche-posture
Lien bouche-posture, bien validé chez l’homme (d’après G. Perdrix, 1997)
L’occlusion dépend de la posture mais la posture dépend aussi de l’occlusion (cf. illustration ci-contre). La position mandibulaire modifie l’appui podal via la position des ATM et de l’os hyoïde, en agissant sur les chaînes musculaires sous-jacentes (Pacqueret, 1995 ; Perdrix, 1997 ; Pirel, 2006).

Mais l’inverse est également vrai, car des appuis podaux dissymétriques pourront entraîner à moyen et long terme des problèmes d’occlusion.


L’importance de l’occlusion chez l’athlète humain

La moindre compensation peut altérer les performances : douleurs cervicales, scapulaires ou dorsales, qui peuvent cependant disparaître après une réhabilitation dentaire et le repositionnement correct de la mâchoire inférieure grâce à des orthèses buccales.

Nombreux sont les athlètes qui, aujourd’hui, corrigent leur occlusion dentaire avec une gouttière pour optimiser leur équilibre postural. Le conseil de l’entraîneur « Ne sers pas les dents !!! » devient leur leitmotiv.

Les répercussions sur leurs performances sportives ont été démontrées par de nombreuses études, on peut citer :
•    Augmentation de la puissance musculaire
•    Meilleure résistance à l’épuisement
•    Amélioration de la récupération
•    Amplification de l’explosivité chez l’haltérophile
•    Amélioration de la vitesse du nageur
•    Augmentation de la détente verticale du sauteur
•    Meilleure stabilité de l’archer...
L’importance de l’occlusion chez l’athlète cheval

Malheureusement, il existe encore peu d’études chez le cheval qui démontrent ce lien, même s’il est souvent exprimé par de nombreux auteurs dans la littérature équestre (Général L’HOTTE, BAUCHER…) et revendiqué par plusieurs ostéopathes. Parmi les rares études scientifiques, on peut citer :

Des études sur la prévalence de l’occlusion :

  • 86% de 483 chevaux, vivant au box et nourris avec du foin et un aliment concentré, présentaient des défauts d’occlusion (Peter et al., 2006).
  • Les dysfonctions ostéopathiques affectant la bouche ou les structures associées (articulations temporo-mandibulaires, nuque, hyoïde…) sont fréquemment rencontrées chez le cheval de sport (Burgaud et Biau, 2017).

répartition des dysfonctions musculo-squelettiques
Répartition des dysfonctions musculo-squelettiques chez le cheval de sport, avec une forte prévalence au niveau de la bouche, de la nuque, de l’hyoïde, des épaules et du bassin © I. Burgaud et S. Biau

Des études montrant l’impact de l’occlusion sur la locomotion :

  • Plusieurs paramètres locomoteurs sont modifiés à J0+10 et J0+30 après le nivellement de la table dentaire et des surdents en pointe sur la première prémolaire supérieure et la dernière molaire inférieure bloquant les mouvements rostro-caudaux (Dubois, 2014).
  • Une relation a été mise en évidence entre l’os hyoïde (cf. illsutration ci-dessous) et la hauteur des pieds (Burgaud et Biau, 2020).

os hyoïde
Os hyoïde
L'os hyoïde est une structure osseuse en forme de « balançoire » située transversalement sous la base du crâne et en lien avec la langue et les chaînes musculaires ventrales de l’encolure.


  • Le port quotidien de l’Allégeoir® (cf. photo 13), à raison de 20min avant une séance de travail suivi de 20mn après la séance, a entrainé une diminution des dysfonctions ostéopathiques affectant la bouche à J0+3 mois, en modifiant les contacts dentaires (Biau et Burgaud, collaboration avec Balaresque).

Allégeoir®
L'Allégeoir® en silicone (à gauche), une fois introduit dans la bouche du cheval (à droite), laisse au cheval la possibilité de manger et entraîne souvent une détente générale (bâillements…) © I. Burgaud

La vision de l'ostéopathe et de l'acupuncteur

Les chaînes myofasciales

chaînes myofasciales ventrale et dorsale
Illustration des chaînes myofasciales dorsale et ventrale (redessiné d’après Schultz et Elbrond, Medical Research archives, 2015)
Schultz et Elbrond ont montré, en retirant le squelette de chevaux disséqués, qu’il existe un lien, via les chaînes fasciales dorsale et ventrale, entre l’articulation de la mandibule (ATM) et le boulet du postérieur situé du même côté (cf. illustration ci-contre).

Cette vision globale des fascias confirme la relation potentielle entre une muserolle serrée (et par conséquent des ATM bloquées) et de probables répercussions sur la mobilité du bassin et l’engagement-propulsion des postérieurs.


Les conséquences ostéopathiques d’un serrage abusif

Sans rentrer dans les détails, les répercussions d’un serrage abusif de la muserolle sur les tensions ostéopathiques sont nombreuses.

Le serrage de la muserolle provoque une restriction de la mobilité de la mandibule/maxillaire dans les 3 directions de l’espace, entraînant des dysfonctionnements ostéopathiques affectant la bouche, les cervicales hautes (C1 à C3) et l’hyoïde.

Toute pression asymétrique au niveau des ATM (cas fréquent lors d’anomalies de la table dentaire) sera source de douleurs au niveau de cette articulation, mais entraînera également des répercussions à distance, notamment sur le mouvement des membres antérieurs, du dos et des postérieurs.

A moyen terme, on observera les compensations ostéopathiques suivantes :

  • Des « épaules verrouillées » (lien avec la bouche via les muscles cervicaux et l’hyoïde).
  • Différents blocages affectant l’arrière-main : dysfonction lombo-sacrée, sacro-iliaque ou encore d’une coxo-fémorale ou d’un grasset… on peut expliquer ces répercussions « à distance » par le système cranio-sacré et la dure-mère, membrane qui connecte intimement le crâne au sacrum, mais aussi par les chaînes myofasciales ventrales et dorsales citées précédemment (cf. illustration ci-dessus).

A l’écoute, le cavalier décrit souvent :

  • Une bouche dure et figée
  • Un basculement latéral de la nuque
  • Un défaut d’incurvation au niveau de l’encolure
  • Un problème d’engagement ou de propulsion d’un postérieur ou des difficultés au moment du départ au galop
  • Un cheval qui se décale d’un côté sur les lignes d’obstacle…

En complément, le cheval peut présenter des douleurs et névralgies avec des points qui deviennent sensibles en regard des articulations (nuque, ATM, épaules…) ou aux insertions des muscles de l’avant main (muscles brachio-céphaliques et omo-transversaires par exemple). Les nerfs superficiels de la face seront tendus et douloureux à la palpation, et parfois à l’origine de headshaking (mouvements brutaux de la tête, d’amplitude et d’intensité variables).

Le point de vue de l’acupuncteur

Prenons l’exemple du méridien « estomac » qui sera particulièrement concerné par la muserolle, étant donné son trajet sur la face.

En médecine chinoise, la fonction « estomac » consiste à aller de l'avant, chercher sa nourriture, à la regarder, la sentir, la mastiquer, l’avaler et la pré-digérer dans l’estomac. Ne pas pouvoir ouvrir la bouche est obligatoirement une source de stress chez le cheval, comme chez l’homme (Fenner et al., 2016).

Le méridien « estomac » passe sous la muserolle à 2 endroits : dans son trajet entre l’œil (point E1) et la bouche (point E4) puis entre la bouche et l’ATM (point E7) (cf. illustration ci-dessous).

méridien estomac
Le méridien estomac (marron) part de l’œil, va vers la bouche puis l’ATM, et se poursuit sur l’encolure en direction de la région du sternum © I. Burgaud (image de gauche) à partir d’un dessin de Barone et E. Van Den Bosch (image de droite)

Pour les praticiens de médecine traditionnelle chinoise, le méridien « estomac » intervient également dans la locomotion du cheval. Chaque méridien « estomac » (car il y en a deux : un à gauche et un à droite) quitte la tête et se poursuit sur l’encolure, longeant les muscles ventraux de l’encolure (muscles brachio-céphalique et omo-transversaire) permettant l’avancée du membre antérieur, puis le long des pectoraux entre les membres antérieurs, suit les abdominaux, pour ensuite remonter dans le pli de l’aine et passer à la face dorsale du membre postérieur, et finalement se terminer au niveau du pied (point E45). Il est, par essence, le méridien de l’avancée du membre antérieur et de l’engagement du postérieur comme le montre son trajet sur les dessins de l'illustration ci-dessous.

méridien estomac
Trajet du méridien estomac : méridien tendino-musculaire (à gauche) et méridien principal à droite © image d'après H. Eugène (à gauche) et d’après H. Xie et V. Preast (à droite)

Il est curieux de constater à quel point ce méridien suit le trajet de la chaîne myofasciale ventrale (en jaune sur la photo 15) mise en évidence par Schultz et Elbrond. On comprend aisément que tout blocage de la région de la tête pourra avoir des répercussions sur la circulation du Qi (énergie pour les acupuncteurs) le long de ce méridien et donc un impact sur les mouvements des membres. D’ailleurs, beaucoup de chevaux présentant des problèmes d’estomac (inflammation ou ulcères) ont une sensibilité particulière au niveau de la région du sternum (réactions au pansage et sanglage) et une usure anormale de la (les) pince(s) postérieure(s) plus visible lorsqu’ils sont pieds nus, laissant traîner leurs pieds postérieurs en pince au lieu de les lever.

En conclusion de cette partie, le serrage abusif de la muserolle, en limitant les mouvements de la mandibule, en comprimant vaisseaux et nerfs, ou en influençant certains points anatomiques, est susceptible de perturber la locomotion, tant au niveau de la colonne vertébrale qu’au niveau des mouvements des membres antérieurs et postérieurs.

L'actualité scientifique

L’usage des muserolles

Le type et le serrage des muserolles ont été évalués sur plusieurs populations. Sur 140 jeunes chevaux de cross de 4 et 5 ans (AUS), 88% des muserolles sont serrées à moins de 2 doigts, dont 14% à moins d’un doigt entre le chanfrein et la muserolle (Université de Limerick (IRL) et de Sydney (AUS)).

Dans une enquête de Doherty (2017) sur 737 chevaux irlandais, belges et de Grande Bretagne, 93% des muserolles sont serrées en-dessous de 2 doigts et 44% à moins d’un doigt entre le chanfrein et la muserolle. Selon les disciplines, l’auteur observe que les muserolles sont de plus en plus serrées dans l’ordre suivant : hunter, dressage puis en CCE.

L’effet de l’évolution de la réglementation de 2018, dans les pays du nord de l’Europe, a été observé sur les chevaux (obligation d’au moins 2 doigts). Bien que le niveau de serrage observé en CSO soit supérieur à celui du dressage, cette nouvelle règle a conduit une majorité de cavaliers (59%) à desserrer leur muserolle. Cette évolution a été appréciée positivement par 62% des personnes interrogées (Visser, 2019). Dans la même étude, la forte présence (68%) des muserolles à levier (crank noseband) en dressage se confirme, alors que la muserolle croisée est très utilisée en CSO (72%) (cf. graphique ci-dessous).

répartition des modèles de muserolle par discipline
Répartition des modèles de muserolles par discipline : dressage à gauche, CSO à droite (en Hollande) © d'après E. Visser

Les forces exercées sur le cheval

pressions dues à la muserolle mesurées sur le chanfrein
Répartition des pressions mesurées sur le chanfrein avec le dispositif créé par O. Doherty (2017)
Doherty (2017) a réalisé une carte des forces exercées sur le chanfrein avec des valeurs entre 7 et 95N (~ 9kg). Elle observe que le seuil de la douleur devrait être dépassé avec certaines tensions mesurées. Elle discute le choix d’utiliser des muserolles larges pour réduire la pression (rapport force/surface de contact), en comparant aux études chez l’homme, où l’occlusion des vaisseaux sanguins se produit plutôt avec un garrot large. Sans pouvoir évaluer les effets positifs du rembourrage, elle évoque l’impact sur les nerfs du gradient de pression au bord de la muserolle. Elle suggère que l’espace entre les trous des muserolles, ne permettant pas un réglage très fin, peut contraindre le cavalier à serrer un « demi-trou » de trop (cf. illustration ci-contre).

Les effets stressants du serrage

Le témoin physiologique

Fenner (2016) évalue l’impact du serrage de la muserolle sur le stress par l’évolution de la fréquence cardiaque. Ainsi, elle observe une montée significative de la fréquence cardiaque au repos avec la pose de la muserolle et son serrage complet (< 1 doigt pendant 10min) ; 10 minutes après le desserrage, la fréquence cardiaque n’a pas retrouvé son niveau de repos.

évolution de la FC et de sa variabilité suivant le serrage de la muserolle
Evolution de la fréquence cardiaque (à gauche) et de sa variabilité (à droite) avec muserolle desserrée, ajustée à 2 doigts, 1 doigt ou fermée sans espace, au repos, 10min après pose de la muserolle et 10min après l’avoir retirée © K. Fenner


La variabilité cardiaque mesure la fluctuation du rythme entre les battements, lié à l’équilibre entre les systèmes parasympathique et orthosympathique. Chez l’athlète, elle est (en simplifiant) plus élevée au repos et s’abaisse quand il va être soumis à un stress ou en période de méforme.
L’effet sur le comportement

Dans une même étude, Fenner (2016) observe les comportements oraux d’un cheval. Avec une muserolle réglée à 0 ou 1 doigt, la mastication diminue et le léchage devient absent. Au retrait de l’embouchure, elle observe une forte augmentation de la mastication, du léchage et de la déglutition, concluant à ce que, le cheval ayant subi une inhibition pendant le temps de port de la muserolle, exprime un réel besoin d’exprimer des comportements naturels. Cette restriction de liberté est considérée comme un stress pour l’animal.

L’évaluation du stress par thermographie

McGreevy (2012) utilise une caméra thermique pour mesurer l’élévation de la température sur la joue et sur l’œil suite au serrage de la muserolle. Il a été montré, dans d’autres études, que la température de la caroncule lacrymale (excroissance située à l'angle interne ou nasal des paupières) est corrélée avec la concentration de cortisol, qui est lui-même considéré comme un indicateur d’évaluation du stress d’un animal.

Il observe ainsi une augmentation de la température de l’œil sur les 2 premières minutes et un retour à la normale au bout de 10min, quel que soit le serrage de la muserolle. L’ajustement de la muserolle est donc toujours un stress quel que soit le serrage. La température de la joue est significativement inférieure lorsque la muserolle est serrée versus desserrée ; il interprète cette baisse comme une diminution de la perfusion sanguine. Dans le cas le plus extrême (< 1 doigt), le retour à la normale est supérieur à 10min.

A Saumur, cette expérience a été refaite sur un cheval avant et après 20 minutes du port d’une muserolle suivant deux modalités (2 doigts et moins d’un doigt) :

  • Avec la muserolle serrée, on observe sur la tête une zone de chaleur plus étendue au niveau de l’artère transverse de la face et une température moyenne de surface du muscle masséter supérieur de +1°C (cf. photo 17).
  • Avec la muserolle serrée, sur l'œil, le muscle orbiculaire présente une augmentation de la température comprise entre 0,7°C et 1°C (mesures prise à 5mn, 10mn, 15mn et 20mn) et de la caroncule lacrymale de 1°C, qui reste stable dans le temps, lorsque la muserolle est serrée par rapport à lorsque la muserolle est lâche.

images thermographiques de la tête d'un cheval avant et après port de la muserolle
Images thermographiques prises avant et après le port de la muserolle pendant 20min © L. Boichot et Dr I. Burgaud

A gauche, une zone plus étendue au niveau de l’artère transverse de la face (cercle blanc) et une élévation de la température au niveau du muscle masséter (flèche jaune) - à droite, une augmentation de la température au niveau du muscle orbiculaire de l’œil et de la caroncule lacrymale (flèche jaune).

Les lésions dues au serrage

Uldahl et Clayton (2017) ont observé 3145 chevaux au Danemark, à l’issue de compétitions (dressage, CSO, CCE et endurance). Ils ont recherché les corrélations possibles entre les blessures, et entre les lésions et le matériel. Ils observent des lésions buccales ou du sang à la commissure des lèvres sur 9,2% des chevaux ; leur fréquence augmente avec le niveau de compétition mais ne semble pas liée au type de mors. Par contre, le type de muserolle (avec noseband, croisée, allemande, Micklem) et son serrage (< 3cm) augmente le risque de lésions buccales. Ils relèvent plus de lésions en l’absence de muserolle qu’avec une muserolle lâche, son absence ne semble donc pas garantir du risque de blessure à la commissure des lèvres (2,39 fois versus muserolle la plus lâche).

Le degré de serrage

Partant du fait qu’une muserolle trop serrée peut empêcher le cheval de relâcher son mors, les scientifiques ont analysé les besoins du cheval et les moyens pour régler objectivement la muserolle. Ils observent que la circonférence du chanfrein varie de 65,5 ± 1,4cm (au repos) à 68,6 ± 1,7cm lorsqu’il mâche. De même, l’espace minimum pour ouvrir la mâchoire afin de « mâchouiller » le mors est évalué à 17mm entre les incisives et 12mm entre les prémolaires.

Ils en déduisent que plus de 3cm sont donc nécessaires, soit plus de 2 doigts pour enlever toute pression.

Des études complémentaires ont objectivé de grandes différences entre les individus : hommes, femmes ou avec l’âge. La circonférence d’un doigt (majeur) est en moyenne de 1,59 ± 0,05cm et, pour 2 doigts (index et majeur), de 9,81 ± 0,21cm.

serrage muserolle
Jauge développée par l'ISES pour un serrage adapté de la muserolle © ISES
L’observation sur le terrain du réglage de la muserolle montre que la circonférence de la muserolle varie si on n’utilise pas de jauge (60,3 ± 1,5cm), avec une jauge placée latéralement (62,8 ± 1,8cm) ou une jauge positionnée au-dessus du chanfrein (68,3 ± 1,6cm) (cf. photo 18).

Leur conclusion est de recommander l’utilisation d’une jauge, du fait de la variabilité des doigts des cavaliers (avec le réglage équivalent à deux doigts moyens) posée sur le dessus du chanfrein, afin de rechercher un élargissement d’au moins 3cm.


Les effets du serrage sur la performance

Ce chapitre relate une expérience menée à Saumur suite à la publication de Randle (2013).

Les mesures de Randle (2013)

Cette équipe a mesuré les tensions de rênes avec l’outil « Rein Check™ » d’un cavalier montant 6 chevaux sur une reprise simple. Trois modalités ont été observées : muserolle serrée (-1 trou), normale et lâche (+1 trou).

Randle (2013) observe une influence du serrage sur la tension rênes, avec une différence significative entre muserolle lâche et muserolle serrée normalement et non significative entre ce dernier cas et la muserolle serrée. On pourrait extrapoler les résultats de l’étude en concluant qu’avec une muserolle lâche, la conduite du cheval semblerait moins aisée et nécessite des actions plus fortes, ou alors que le cheval tend moins ses rênes lorsque le serrage augmente (cf. graphique ci-dessous).

tension des rênes suivant modalités de serrage de la muserolle
Médiane de la tension des rênes de 6 chevaux suivant 3 modalités de serrage de la muserolle © Randle (2013)


Une étude menée à l’IFCE

capteurs de rênes
Capteurs de rênes du système Mazarin 1 (IFCE-CAIPS) © E. Pycik
En juillet 2020, une étude a été conduite à l’IFCE sur 4 chevaux montés par leur cavalière (BPJEPS/DEJEPS), suivant 2 modalités : muserolle serrée (passage d’un doigt sous la tête, entre l’auge et la muserolle difficile) et desserrée (passage de 2 doigts verticaux aisée dans l’auge. La reprise simple comprenait des éléments simples aux 3 allures : cercles de 20 et 10m et des transitions d’allure (trot-arrêt et galop-pas) et dans l’allure (allongement au galop). La mesure des tensions de rênes (cf. illustrations ci-contre et ci-dessous) était réalisée avec l’outil Mazarin (IFCE-CAIPS). A partir des images vidéos, les reprises étaient jugées techniquement, avec un protocole de reprise de dressage et des éléments de l’éthogramme monté évalués par comptage.

Contrairement à l’étude de Randle, les tensions de rêne ne sont pas différentes lorsque la muserolle est serrée ou desserrée, quel que soit le traitement retenu (moyenne, médiane, moyenne des pics max, moyenne des pics min, aire sous la courbe…). L’étude statistique a traité la reprise complète, les séquences par allure, les cercles et les transitions, et aucune différence significative n’a été observée (cf. graphique ci-dessous).


tensions de rênes suivant modalités de serrage de la muserolle
Exemple de résultats sur les moyennes des tensions de rênes avec muserolle serrée ou desserrée © Plateau technique R&D de Saumur - IFCE


Par contre, la qualité de la prestation a été influencée par le serrage, comme le montre l’amélioration du jugement de la reprise chez 3 chevaux sur 4 (cf. graphique ci-dessous). Cette différence confirme l’avis des cavalières interrogées en sortie de reprise. Les observations qualitatives du juge sont également plus favorables lorsque la muserolle est desserrée : « plus souple muserolle desserrée », « moins enfermé au trot », « au galop, plus joueur », « avance plus confiant dans l’allongement », « mâchouille son mors », « plus en place, décontracté »…

notation d'une reprise de dressage suivant modalités de serrage de la muserolle
Notation de la reprise de dressage suivant deux modalités : muserolle serrée ou desserrée © Plateau technique R&D de Saumur - IFCE


Le comportement en reprise a été évalué suivant deux critères : les défenses et les résistances. Lorsque la muserolle est desserrée, on observe parmi les 3 chevaux qui en présentaient, une réduction des défenses, qu’elles soient petites (tire, secoue la tête…) ou plus importantes (comportement de fuite, tente de se cabrer, recule…). De même, les 3 chevaux sur 4 ont présenté moins de résistances (creusement du dos) muserolle desserrée que serrée (cf. graphiques ci-dessous).

observation des défenses suivant modalités de serrage de la muserolle
Observation des défenses chez 3 chevaux au cours de 2 reprises, effectuées muserolle serrée vs desserrée © Plateau technique R&D de Saumur - IFCE
observation des résistances suivant modalités de serrage de la muserolle
Observation des résistances chez 4 chevaux au cours de 2 reprises, effectuée muserolle serrée et desserrée © Plateau technique R&D de Saumur - IFCE


L’étude s’est poursuivie par l’observation des indicateurs comportementaux informant d’un état émotionnel négatif, généré par la peur, voire la douleur (Dyson, 2017) : les ouvertures de bouche, les fouaillements de queue et l’orientation prolongée des oreilles vers l’arrière. Majoritairement (3 chevaux sur 4), les chevaux avaient moins souvent les oreilles en arrière et plus souvent les oreilles en avant lorsque la muserolle était desserrée (cf. graphique ci-dessous). La position des oreilles vers l’arrière est décrite par Hall et al. (2013) et Von Borstel et al. (2017) comme corrélée avec un inconfort ou une équitation inappropriée.

observation de la position des oreilles suivant modalités de serrage de la muserolle
Observation de la position des oreilles chez 4 chevaux au cours de 2 reprises, effectuées muserolle serrée et desserrée © Plateau technique R&D de Saumur - IFCE


Le nombre d’ouvertures de la bouche augmente significativement chez 2 chevaux lorsque la muserolle est desserrée, témoignant d’une demande des chevaux de s’exprimer (cf. graphique ci-dessous).

observation de la bouche suivant modalités de serrage de la muserolle
Observation des ouvertures et des mouvements de bouche chez 4 chevaux au cours de 2 reprises, effectuées muserolle serrée et desserrée © Plateau technique R&D de Saumur - IFCE


Mieux encore, les 2 chevaux qui fouillaient de la queue fréquemment avec la muserolle serrée, diminuent la fréquence de ce comportement lorsque la muserolle est desserrée (cf. graphique ci-dessous).

observation des fouaillements de queue suivant modalités de serrage de la muserolle
Observation des fouaillements de queue chez 4 chevaux au cours de 2 reprises, effectuées muserolle serrée et desserrée © Plateau technique R&D de Saumur - IFCE


En conclusion, on observe, chez les chevaux qui ont participé à cette étude, une amélioration sensible de leur comportement sur une reprise de dressage lorsque l’on desserre la muserolle, sans pour autant avoir de tension supérieure sur les rênes pour réaliser les figures imposées. Desserrer la muserolle semble être un gage de performance et une meilleure acceptation de son travail par le cheval.
En savoir plus sur nos auteurs
  • Patrick GALLOUX Phd, BEES 3 Équitation, ancien Écuyer du Cadre noir de Saumur, Inspecteur de la Jeunesse et des Sports (HC)
  • Isabelle BURGAUD Docteure vétérinaire - clinique vétérinaire équine de Saumur (IFCE)

Bibliographie

Articles scientifques

Quelques ouvrages d'équitation classique

  • Général DECARPENTRY. Équitation académique. Lavauzelle - Graphics Éditions, 2004, 274 pages.
  • Général A. L'HOTTE. Questions équestres. Mazeto Square, 2016, 128 pages.
  • Dom Diogo DE BRAGANCE. L'équitation de tradition française. Belin, 2005, 191 pages.
  • Général P. DURAND. Une vie à cheval : du Cadre noir aux équipes de France. Actes Sud Éditions, 2015, 192 pages.
  • Colonel F. de BEAUREGARD. L'équitation à Saumur - Principes, conseils et pratiques des écuyers. Éditions Charles Hérissey, 2001, 158 pages.
  • Général P. DURAND. Le Cadre noir du Colonel Margot. Éditions Charles Hérissey, 2011, 134 pages.
  • P. KARL. Dérives du dressage moderne - Recherche d'une alternative "classique". Belin, 2006, 159 pages.
  • P. LE ROLLAND. Le principe de dressage de Patrick Le Rolland. Belin Littérature et Revues, 2011, 96 pages.
  • J.M. DONARD. Le guide de dressage de Jean-Marie Donard. Belin Littérature et Revues, 2013, 104 pages.
  • J.L. GUNTZ. Sauteurs en liberté. Lavauzelle, 2017, 154 pages.
  • P. GALLOUX. Le concours complet d'équitation. Belin Littérature et Revues, 2011, 312 pages.
  • J. D'ORGEIX. Ma doctrine : une méthode française d'instruction, angles et rythmes. Belin, 2006, 175 pages.
  • Xème Colloque de l’École Nationale d’Équitation à Saumur, le 16 juin 2007.

Sitographie

Pour retrouver ce document: www.equipedia.ifce.fr
Date d'édition : 23 12 2024

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