

Le pied du cheval féral australien
Les colons européens amenèrent le cheval en Océanie en 1788. Elevés sur place en nombre (jusqu’à 2000 naissances par an et par élevage !) depuis la seconde moitié du XIXème siècle, les chevaux ont été sélectionnés pour s’adapter aux rudes conditions de l’arrière-pays australien. Ils sont utilisés comme chevaux de bétail et ne nécessitent que peu d’entretien. Au cours des deux derniers siècles, des chevaux furent libérés ou s’échappèrent des élevages. Ils ont progressivement formé des populations de chevaux redevenus sauvages, ces chevaux dits « féraux » communément appelés « brumbies » en Australie. Ils ont colonisé les régions arides et semi-arides du centre et du nord du continent qui n’avaient jusque-là jamais connu la présence d’ongulés. Ils se sont nourris d’espèces de plantes jamais mangées par des équidés auparavant et ont prospéré…

- Des populations soumises à la sélection naturelle
- Le sabot australien dans tous les Etats
- Un modèle morphométrique remis en cause
Des populations soumises à la sélection naturelle
Sur la majorité du territoire, il n’y a pas d’intervention humaine et beaucoup de chevaux meurent de soif et de faim dans les temps les plus difficiles. De par ces facteurs, les conditions pour la sélection naturelle et le développement de la résistance se trouvent renforcées.
Un exemple en est l’architecture interne des feuillets de corne à l’intérieur du pied du nouveau-né féral. Leur organisation est plus efficace que chez le nouveau-né domestique, leur apportant apparemment un atout certain et une locomotion plus précoce par rapport à ses cousins domestiques.
Le sabot australien dans tous les Etats
L’étude de l’Université du Queensland porte sur les différents aspects du pied du cheval sauvage :
- La forme générale,
- La structure,
- L’anatomie radiographique,
- L’histologie des feuillets et de la paroi du sabot.
Les distances parcourues et le type de terrains foulés par le cheval influencent le pied. L’étude réalisée sélectionne quatre environnements sauvages différents et pour chacun d’entre eux un type de pied différent en termes d’apparence générale, de forme de pied et de structure. La forme et la structure du pied de cent chevaux féraux australiens ayant évolué dans quatre environnements radicalement différents ont ainsi été mesurées.
L’angle dorsal du sabot (DWA) et l’angle palmaire (PA) de la phalange distale étaient très similaires pour ces 100 chevaux et ces paramètres sont importants pour la fonction biomécanique du pied.
L’angle dorsal du sabot (DWA)
Les DWA étaient en moyenne de 53 à 57°, proposant une fourchette dans laquelle un pied devrait se situer pour être qualifié d’équilibré. Sur 41 pur-sang sains, les DWA étaient en général de 48°.
Dans une étude menée sur 95 Pur-sang anglais de course (Kane et al., 1998), les chevaux avec un DWA bas ont des blessures musculo-squelettiques significativement plus graves que ceux ayant un DWA « équilibré ». Ainsi, le DWA du cheval pur-sang de course est considérablement plus bas que celui du cheval féral dans l’étude actuelle.
L’angle palmaire (PA)
L’angle palmaire est mesuré entre le bord distal des processus palmaires de la phalange distale et le sol. Il est mesuré à partir de radios.
Dans une revue récente d’examens radiographiques de pieds de chevaux, il était annoncé une valeur normale d’angle palmaire (PA) pour les antérieurs comprise entre 5 et 10° d’inclinaison, positivement descendant du talon à la pointe de la phalange distale (Mansmann et Vomorde, 2008).
Les chevaux féraux australiens se situent, en moyenne, dans la fourchette la plus basse de ces mesures (5,7°). Strasser a suggéré que l’orientation naturelle de la surface solaire de la phalange distale était parallèle au sol. Elle s’appuie sur des observations faites sur des chevaux sauvages et des chevaux domestiques sains dont le PA est dans cette configuration et dont le pied est non douloureux (Strasser, 2004).
Cependant, l’étude du pied du cheval féral du Kaimanawa, en Nouvelle-Zélande, démontre qu’un PA négatif ou parallèle au sol serait lié à des maladies de chevaux féraux du Kaimanawa (Hampson et al., 2010).
Selon l’éventail réduit de données de l’étude actuellement conduite en Océanie, le PA des chevaux vivants dans un environnement naturel vierge de toute intervention humaine est proche de 6°. La faible variation entre les chevaux évoluant dans chaque environnement, indépendamment du type de sol et des besoins de voyager, implique que l’angle de ce paramètre serait important pour la conformation de sabots fonctionnels.
Pince carrée ou arrondie ?
La forme de la surface solaire des sabots du mustang serait carrée en pince avec une bascule du pied prématurée au bénéfice de la locomotion (Ovnicek, 2004). Le fer à pince carrée est développé sur la base de ce modèle de pied de cheval sauvage.
Dans l’étude du brumby australien, seul le cheval qui se déplace sur de très longues distances était significativement carré en pince, le distinguant de toutes les autres populations de brumbies. Apparemment, la pince carrée viendrait d’une usure excessive du pied traînant sur le sable profond lors de la phase de balancier de la foulée. La pince carrée est aussi constatée sur 20% des chevaux des déserts arides et rocailleux, mais cette caractéristique viendrait du besoin des chevaux de gratter le sol à la recherche de l’eau sous la surface. On trouve aussi cette forme de sabot chez les chevaux qui parcourent d’extrêmement longues distances et plus particulièrement chez les jeunes étalons prétendants qui cherchent et s’affrontent pour les juments.
L’étude australienne conclut que la forme type du pied du cheval féral était arrondie en pince tout comme chez le cheval domestique.
Biotope et longueur de pince
La longueur de la pince est la distance entre la pointe de la phalange distale et le bord distal du sabot qui est mesurée à partir d’une radiographie d’incidence latéro-médiale. C’est un paramètre important qui connecte les forces sur la paroi dorsale et les lamelles dorsales juste avant la phase de bascule du pied à l’appui. La longueur de la pince, nettement plus élevée (33mm) sur les chevaux vivant sur des terrains meubles, est significativement différente sur les chevaux vivant sur les terrains durs (29mm). Le contact avec un terrain dur entraîne une plus grande usure de la paroi distale qui serait à l’origine de cette différence.
Sols durs, sols meubles et évasement de la paroi
Chez le cheval domestique, l’angle médial de la paroi est généralement plus vertical que l’angle latéral et les évasements de la paroi latérale sont plus importants.
Chez les brumbies, l’angle médial de la paroi est plus vertical que latéral dans toutes les populations sauf une. Le brumby du désert dur et rocheux a des parois médiales et latérales aussi verticales l’une que l’autre.
L’environnement de terrain dur produit un type de pied avec une symétrie médio-latérale des angles de la paroi. Par contre, l’environnement de sol meuble avec déplacements modérés produit des pieds dont les parois sont longues et évasées avec des angles moins verticaux. Il en va de même pour les pieds des chevaux domestiques gardés non parés sur des terrains meubles.
Des pieds athlétiques
Les brumbies, comme des chevaux domestiques, ont une épaisseur de la paroi (HWT) qui diminue du milieu de la pince au talon. L’intérieur de la paroi est composé de lamelles et l’appareil suspenseur de la phalange distale amortit les forces transmises du sol vers le squelette du cheval.
Le nombre total des feuillets primaires dans les pieds antérieurs d’un cheval adulte varie de 500 pour les demi-sang à 561 pour les chevaux de course (Daradka, 2000). Le nombre de feuillets épidermaux primaires dans les antérieurs des brumbies se situe en général au milieu de cette fourchette soit approximativement 539. La densité des feuillets dans les antérieurs des brumbies est similaire à celle trouvée chez les chevaux domestiques athlètes.
La distribution des composants de l’architecture de la boîte cornée chez les chevaux féraux répond à la nécessité de répartition connue de support du poids et des forces dans le pied. La plus grande épaisseur de la paroi externe, avec la densité lamellaire correspondante, est plus importante en pince où, durant la locomotion, entrent en action les contraintes physiques et biomécaniques les plus fortes. Les deux paramètres diminuent graduellement de la partie dorsale du pied jusqu’aux talons palmaires où les deux valeurs représentent approximativement 55% de la valeur maximum en pince.
Chez les pur-sang de course, l’ensemble de l’épaisseur de la paroi et des feuillets au milieu de la pince (THWT) est de 14,6mm (Linford et al., 1993). La THWT, chez les brumbies, est affectée par la rudesse du terrain. Selon l’étude sur le brumby, la THWT varie de 16,5mm pour les pieds foulant des terrains meubles à 19mm pour ceux foulant des terrains durs. Il peut donc y avoir une différence de 30% entre les pur-sang et les chevaux féraux australiens.
Le rapport de l’épaisseur de la paroi et de la longueur du cortex palmaire de la phalange distale enregistré chez les pur-sang est de 24%. Ce rapport s’approcherait de 25% pour les pieds sains de pur-sang et de trotteur (Pollitt, 2004) et un rapport d’épaisseur de plus de 28% serait anormal. Or, la moyenne correspondante, d’après l’étude de 5 populations de brumbies, va de 29,5 à 33%. Cet épaississement de la paroi et de la membrane lamellaire est lié à une fourbure chronique. Bien que la paroi épaisse du pied du cheval féral puisse être considérée comme une adaptation positive à l’environnement, il est probable que cela soit une conséquence pathologique due aux déplacements importants sur des terrains durs, ressemblant aux changements observés dans la fourbure traumatique du pur-sang (Linford et al., 1993). Dans d’autres populations brumbies, le changement serait plus probablement du à une fourbure causée par la nourriture. L’épaisseur augmentée de la paroi chez les brumbies viendrait alors de l’étirement des feuillets, de la production de la corne et peut-être d’un changement dans l’orientation et l’épaisseur de la bande coronaire découlant de l’affaissement de la phalange distale.
Un modèle morphométrique remis en cause
L’apparence extérieure d’un pied typique de brumbies qui foulent des terrains durs est souvent citée comme référence, apparaissant esthétiquement plaisante avec une pathologie peu visible. Cependant, cette impression superficielle est éconduite, car un contrôle radiographique et histologique des feuillets révèle une pathologie significative.
Les premiers observateurs et promoteurs du pied naturel étaient apparemment inconscients de cette pathologie interne, mais firent des suppositions et des recommandations pour l’entretien du pied domestique telles que la promotion de la charge en sole et d’un biseautage excessif de la paroi distale. La référence du pied naturel comme modèle morphométrique optimal sur lequel se basent les pratiques du parage du pied devrait donc être reconsidérée prudemment.
Les limites du modèle du pied naturel
Le modèle de parage d’un sabot dans un bon équilibre est débattu depuis des siècles et il n’y a toujours pas d’accord universel sur un modèle optimal de conformation du sabot. L’étude des sabots des populations de chevaux sauvages dont le mode de vie se rapproche du naturel peut aider à identifier un modèle de conformation du sabot. Un intérêt pour le sabot du « cheval sauvage » ou « naturel » a récemment émergé et le « pied naturel » est proposé comme le modèle idéal de pied équin. Les errances libres du cheval sauvage liées au mode de vie peuvent promouvoir une santé idéale du sabot du fait des longues distances parcourues, un régime naturel varié, et d’une absence d’impact potentiellement nuisible de la domestication.
Les études sur les pieds des chevaux féraux aux États-Unis suggèrent que le modèle naturel serait une solution pour le pied en mauvaise santé du cheval domestique moderne (Jackson, 1997 ; Ovnicek et al., 1995). Le pied du cheval sauvage aurait une paroi du sabot très courte, laquelle est largement biseautée au niveau de la surface au sol, une grosse concavité de la sole, des talons forts et hauts et une pince carrée (Redden, 2001) avec un point de bascule reculé vers la pointe d’une fourchette bien développée (Ovnicek, 2004). Il est suggéré que la sole montre une symétrie médio-latérale, que la fourchette et la sole ont une fonction importante dans le support de la charge (Bowker, 1995 ; Ovnicek, 2004) et que la surface palmaire de la phalange distale est parallèle au sol (Strasser, 2004).
Les études récentes menées par l’Université du Queensland montrent que le modèle en question n’est pas une particularité commune à tous les pieds des chevaux féraux et n’est pas non plus corrélé avec une bonne santé du pied.
Elles ouvrent donc un débat : est-il vraiment approprié de biseauter la paroi des pieds des chevaux domestiques ?

En savoir plus sur nos auteurs
- Chris POLLITT School of Veterinary Science - The University of Queensland
Bibliographie
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- HAMPSON B.A., RAMSEY G., MACINTOSH A.M., MILLS P.C., DE LAAT M.A. and POLLITT C.C., 2010. Morphometry and abnormalities of the feet of Kaimanawa feral horses in New Zealand. Aust. Vet. J., 88, pages 124-131.
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