Les spécificités du pied de l'âne : comment les gérer ?

Bien qu’étant considéré comme un animal rustique, l’âne ne peut pas rester sans soins au niveau de ses pieds. Comme pour le cheval, un suivi régulier par un maréchal-ferrant s’impose afin d’entretenir ses sabots. L’objectif ? Garantir le confort, la santé et le bien-être de l’animal tout en optimisant son utilisation éventuelle. Seulement, le pied de l’âne n’étant pas fait comme celui du cheval, il est nécessaire de connaître et savoir prendre en compte ses spécificités.

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Par Laurent NIZOU - Cécile NIZOU - | 23.10.2023 |
Niveau de technicité :
pied de l'âne
Sommaire

Le pied de l'âne : un peu d'anatomie

spécificités du pied de l'âne
Pied de cheval, pied d'âne : chacun ses spécificités ! © dessin réalisé par Christian Hirlay

D’un point de vue anatomique, la structure interne du pied de l’âne est quasi semblable à celle du pied du cheval. Le nombre de feuillets de corne est de 350 chez l’âne, contre 550 chez le cheval. Le pied de l'âne présente en revanche des particularités au niveau de sa structure externe et de son fonctionnement.

Le pied de l’âne a une forme en « U » ou une forme de Lyre, car les talons ressortent. Il est étroit et plus long que large. La pince est très arrondie et il n'y a quasiment pas de mamelle. Les quartiers étant droits, le sabot donne l’impression d’être aplati sur les côtés. La muraille est verticale. Vue de profil, la paroi en pince forme en effet un angle qui peut aller jusqu'à 60° pour les antérieurs et plus de 65° pour les postérieurs. La sole est creuse et plus épaisse. Les talons sont hauts. Les barres sont presque « verticales ».

Le sabot de l’âne est pourvu d'une corne plus dure et plus résistante. Elle est très hydratée, épaisse, mais peu dense, et possède une structure tubulaire particulière. La microstructure de la corne du sabot montre un complexe tubulaire curvé, dont la densité diminue de façon graduelle de l'extérieur vers l'intérieur (chez le cheval, la diminution de densité se fait en escalier). Le pied de l'âne est ainsi plus déformable que celui du cheval et la kératine plus solide. Cette solidité est également liée au gradient hydrique qu'elle contient. L'épaisseur de la paroi ne diminue pas vers les talons, mais reste constante sur tout le pourtour du pied.

Il y a peu de différence entre les pieds antérieurs et postérieurs. La tournure du postérieur est juste légèrement plus pointue en quartiers.

Du fait des particularités anatomiques de ses pieds, l'âne a un moindre amorti dans sa locomotion que le cheval. En effet, les talons ne s'ouvrent quasiment pas lors du poser du pied, et ne permettent donc pas au sabot de s'évaser à chaque foulée. La fourchette est peu souvent en contact avec le sol. L’âne a donc une démarche / locomotion plus frappée. Il travaille à allures lentes ; le pas et le trot sont ses allures de prédilection.

spécificités du pied de l'âne
Pied antérieur de cheval versus pied antérieur d'âne © dessin tiré de la revue « Les Cahiers de l'Âne »

Pourquoi et comment parer le pied de l'âne ?

L'âne est réputé pour avoir le pied sûr, ce qui lui permet d'être bien stable sur ses appuis et de rester en équilibre sur des sols accidentés.
Oui, mais pour cela, ce dernier doit être sain et en bon état afin de lui permettre de travailler sur tous types de terrains, sans soucis et en toute sécurité.

Gare aux pieds en « babouches »

Tout comme celui du cheval, le sabot de l’âne pousse en permanence dans le sens de la hauteur, de plus ou moins un centimètre par mois (selon les saisons, le climat, l’âge, la nourriture…). S'il vit sous un climat sec, dans une pâture suffisamment accidentée, dure et caillouteuse, l'âne va naturellement user cette corne. En revanche, stationné dans un pré herbeux et humide qui favorise la pousse de la corne sans activer l'usure, il convient alors d'effectuer un parage régulier pour enlever l’excédent de corne, rectifier l’aplomb et garder un « beau » et bon pied.

spécificités du pied de l'âne
Des pieds déformés par un manque de soins réguliers sont une forme de maltraitance ! © Cécile Nizou


D'une manière générale, l'âne est plus touché par les déformations du sabot que le cheval. C'est pourquoi il faut le parer régulièrement. Il n'y a pas besoin d'un œil d’expert pour déceler une longueur excessive du sabot. Ceux de l'âne poussent surtout vers l'avant, en pince. Contrairement au cheval, la corne ne casse pas, mais le talon s'enroule très vite ; le pied se vrille et se déforme. L’âne présente alors des pieds comme des « babouches », longs, pointus et recourbés, qui le rendent infirme.

À quelle fréquence ?

La fréquence du parage dépend de plusieurs facteurs, tels que le type de terrain, le travail effectué, la nourriture… De manière générale, il est conseillé d’intervenir en moyenne tous les trois à quatre mois, trois mois étant vraiment l’idéal.

Comment s’y prendre ?

Parer un âne n'est pas plus « compliqué » que de parer un cheval, il faut juste respecter les spécificités de son pied et tenir compte des éventuelles malformations du sabot ou du membre. Les outils sont les mêmes que ceux utilisés pour le parage d’un cheval. Les outils coupants doivent cependant être bien affûtés, car la dureté de la corne rend le parage plus difficile.

Le parage commence au niveau de la sole. L’objectif est d’enlever l’excès de corne de façon à lui rendre son aspect naturel creux. La sole ne doit pas être laissée plate ou bombée. Il est en effet très important que l'âne marche sur sa paroi et non pas sur la sole. La fourchette est à son tour légèrement taillée avant de couper l'excédent de corne sur la face pariétale, en travaillant sur la longueur de la pince et en veillant à rectifier les évasements s'il y en a. Il faut respecter la hauteur du talon, spécifique chez l'âne. Le parage est aussi l’occasion de vérifier la bonne qualité de la ligne blanche et de regarder le pied pour détecter la présence d’éventuelles maladies.

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Pied d'un âne avant parage (mais régulièrement entretenu) et pied d'un âne après parage (mais avant râpage) © Cécile Nizou


Cas particuliers

Lorsque le pied est vraiment très long, le parage doit se faire par étapes, en commençant d'abord par la paroi. Il ne faut pas hésiter à couper de la corne, tout en faisant attention à ne pas atteindre les parties « vivantes » du pied. C’est seulement lorsque le pied a retrouvé une dimension « normale » qu’il peut être paré à proprement parler.

spécificités du pied de l'âne
Schéma, radio et photo d'un pied d'âne en babouche
spécificités du pied de l'âne
Étapes de parage d'un pied d'âne en babouche © Cécile Nizou


Les ânes ont des aplombs particuliers : ils sont souvent serrés devant et derrière. Ils peuvent aussi présenter des déviations d'aplombs congénitales ou acquises. On rencontre beaucoup d'ânes avec les pieds panards.

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Les ânes sont souvent serrés devant (photo de gauche) et derrière (photo du milieu) - beaucoup sont également panards (photo de droite) © Cécile Nizou


La morphologie du pied de l'âne le prédispose à l'encastelure. Le maréchal-ferrant doit faire attention de ne pas laisser les talons trop hauts lors du parage et à bien ouvrir les fers en talon lors de la ferrure.

Pourquoi et comment ferrer le pied de l'âne ?

Même si la corne est très dure et permet souvent à l'âne de travailler sans fer, ferrer un âne peut s’avérer nécessaire dans certains cas :

  • Limiter l'usure du pied pour des ânes qui travaillent beaucoup ou évoluent sur des terrains abrasifs.
  • Soulager le pied chez des ânes présentant une pathologie particulière.
  • Pour protéger la ligne blanche.
  • En cas d'abcès, en associant le fer à une plaque pour protéger celui-ci.
  • En cas de fourmilière (soutien du pied et répartition des charges).
Des fers à concevoir, non disponibles chez les fournisseurs

Comme chez le cheval, le ferrage de l’âne peut s’effectuer à chaud ou à froid. Les fournisseurs ne proposent cependant pas de fers spécifiques aux ânes à la vente. Il faut donc soit les forger à partir d'un lopin, soit transformer des fers mécaniques pour poneys.

Le fer antérieur de l'âne a une pince un peu plus rectiligne et ses branches sont droites. Les éponges ressortent légèrement et doivent suivre l’axe des talons. Le fer est étroit. Le relevé de pince est fortement conseillé, car il améliore l’amplitude de la foulée et favorise le départ du pied grâce à son effet de « rolling ». Cela donne du confort à l'animal dans sa locomotion. Il convient de ne pas oublier de laisser de la garniture sur le fer.

spécificités du pied de l'âne
Fer antérieur de poney 6x0 mécanique versus fer identique transformé pour l'âne © Cécile Nizou
spécificités du pied de l'âne
Fer antérieur d'âne mécanique versus fer antérieur d'âne forgé © Cécile Nizou


Dans le cas d’un fer forgé, la section de la barre généralement utilisée est du 20x8 ou du 16x6. Selon sa taille, le fer comporte entre quatre et six étampures. Il doit être étampé à gras, sans excès. Traditionnellement, le fer d'âne, lorsqu'il est forgé, est juste étampé et n'a pas de pinçon, mais tout est possible ! On peut également forger les fers dans du concave, ajouter des mortaises pour y fixer des crampons, des cônes au tungstène... en fonction de la discipline pratiquée et des terrains sur lesquels évolue l'âne.

Comment s’y prendre ?

spécificités du pied de l'âne
© Cécile Nizou

La corne étant dure mais peu dense et la paroi verticale, le brochage est délicat et doit se faire avec précaution. La difficulté réside donc dans le fait de faire ressortir le clou de la paroi. Il est parfois nécessaire de donner un peu plus d'obliquité à l'affilure des clous pour qu'ils puissent sortir plus facilement car le grain d'orge ne suffit pas toujours. Il est recommandé d'utiliser des clous à lame fine et solide, à tête carrée de type Swift, mais le JF0 et E2 conviennent également. Attention à ne pas utiliser des clous trop gros et à ne pas en mettre trop !

Les difficultés de la ferrure sont induites par la conformation particulière du pied de l’âne. Il est primordial de bien respecter l’aplomb et d’ajuster le fer pour suivre la tournure du pied.

Le principal défaut du maréchal-ferrant « novice » est de gérer le pied de l'âne comme celui d’un cheval, en mettant une tournure ronde alors que le pied ne l'est pas. Il est primordial d’adapter le fer au pied et non pas le pied au fer !

Dans certains cas pathologiques, des fers orthopédiques « identiques » à ceux du cheval peuvent être posés (fer à l'envers, fer avec branches couvertes, fer avec pince couverte, fer avec branches affinées…).

Comme avec les chevaux, une bonne éducation des ânes par leurs propriétaires et/ou détenteurs, ainsi que des infrastructures bien pensées (fonctionnelles) sécurisent et facilitent le travail du maréchal-ferrant. Cela permet d’œuvrer dans de bonnes conditions, dans le respect de l’animal et d’éviter au maximum les accidents.

Les affections du pied de l'âne

Les pieds de l'âne sont très exposés à certaines maladies par altération de la corne. La venue régulière du maréchal-ferrant permet d’entretenir correctement le sabot, mais également de détecter précocement d’éventuels problèmes. Ceux-ci étant semblables à ceux du cheval et se traitant de la même façon, seuls les points « spécifiques » aux ânes sont développés dans cette partie.

La fourmilière

Les ânes sont souvent atteints de fourmilière. À chaque parage, le maréchal-ferrant doit donc vérifier méticuleusement l’état du sabot, et plus particulièrement de la ligne blanche, pour détecter rapidement un éventuel début de fourmilière (présence de poudre de couleur blanche ou noire au niveau de la ligne blanche). Si elle n’est pas traitée immédiatement, l’infection se propage en effet très rapidement, créant des dommages importants.

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Pieds d'ânes atteints de fourmilière : d'un début de fourmilière (à gauche) à un stade très avancé (à droite) © Cécile Nizou


L’abcès

L'abcès de pied est la cause la plus courante de boiterie aigüe chez l'âne. Le maréchal-ferrant doit être vigilant lorsqu’il utilise la pince à sonder pour localiser un éventuel l’abcès. En effet, l'âne est moins sensible à la douleur que le cheval. Il est donc moins expressif, ce qui rend le test de la pince à sonder souvent bien moins probant que chez le cheval. Le diagnostic peut donc être plus difficile à poser.

spécificités du pied de l'âne
Pied d'un âne avec abcès en sole © Cécile Nizou
spécificités du pied de l'âne
Après traitement de l'abcès, une ferrure avec plaque permet de protéger la corne fragilisée © Cécile Nizou


La fourbure

Autrefois, les fourbures étaient essentiellement dues au travail. Aujourd’hui, la principale cause de fourbure chez l'âne est alimentaire. En effet, on rencontre beaucoup d’ânes atteints de fourbure car leur alimentation est bien trop riche pour leurs besoins. Il ne faut pas oublier que l'âne est un animal rustique, issu d'un milieu désertique. Ronces, chardons, orties… dédaignées par les autres herbivores, régalent les ânes. Ces derniers ont l'habitude d'une nourriture pauvre.

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Pied d'un âne atteint de fourbure © Cécile Nizou
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Pied d'âne avec traces de fourbure © Cécile Nizou


Généralement, l’âne semble aller bien, mais reste calme dans le pré. Il a des difficultés à marcher et reste souvent couché. Le report de poids sur les talons est moins flagrant que chez le cheval, mais l'âne a tout de même très mal aux pieds. Le vétérinaire et le maréchal-ferrant doivent intervenir conjointement afin de soulager de façon efficace et rapide la douleur générée par la crise de fourbure. Si l’on rencontre peu de bascule de la troisième phalange chez l’âne, il n’est pas rare d'observer des ânes dont les pieds ont des traces de fourbure. Ces ânes finissent par avoir des difficultés permanentes pour marcher, deviennent inaptes au travail, voire à la reproduction.

La ligne blanche étant abîmée suite à une fourbure, cela facilite l’entrée d’humidité et l’introduction de petits corps étrangers (particules de terre, petits cailloux…) dans le pied, créant un milieu favorable au développement d’agents pathogènes. L’âne peut alors être sujet à des abcès de pied ou fourmilières à répétition. Dans ces cas-là, la pose de fers permet de limiter les risques, en protégeant la ligne blanche.
La crapaudine

Les anciens l’appelaient « le mal d’âne ». Il s’agit d’une pododermatite du bourrelet périoplique, localisée en couronne. On ne connaît pas bien les causes de son apparition et sa guérison est très difficile. Il est recommandé de ne rien faire, pour ne pas risquer de l’enflammer ou la faire saigner. Lors du parage de la face pariétale, il faut bien faire attention à ne pas la toucher avec la râpe.

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Pied d'un âne atteint de crapaudine © Cécile Nizou


Entretenir le pied régulièrement est le meilleur moyen pour prévenir l’apparition de ces affections ! Au même titre que pour les chevaux, les pieds de l’âne doivent être vérifiés au quotidien et régulièrement entretenus (curage, brossage, éventuellement graissage, voire soins) par leur propriétaire / détenteur, mais également suivis par un maréchal-ferrant.

Ce qu'il faut retenir

L'âne n'est pas un « petit » cheval. Il possède des pieds en forme de Lyre, plus petits, plus droits et plus solides que ceux du cheval, mais qui sont plus exposés aux maladies par altération de la corne. Connaître et respecter ses particularités est fondamental pour lui garantir un « beau » et « bon » pied.

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© dessin réalisé par Christian Hirlay

En savoir plus sur nos auteurs
  • Laurent NIZOU Maréchal-ferrant - Meilleur Ouvrier de France
  • Cécile NIZOU Maréchal-ferrant

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Pour retrouver ce document: www.equipedia.ifce.fr
Date d'édition : 14 05 2024

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