Le transfert d'embryon(s) chez les équidés

Le transfert d'embryon(s) est un moyen de reproduction qui permet de mettre à la reproduction des juments sans pénaliser leur carrière sportive, par exemple. Ce mode de reproduction requiert une grande technicité et s'avère être une bonne façon de multiplier la génétique de qualité par la voie femelle.

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Par Maud CAILLAUD - Nelly GENOUX - | 28.03.2024 |
Niveau de technicité :
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Sommaire

À propos du transfert d'embryon

Qu'est-ce que le transfert d'embryon ?

Il s'agit d'une technique de reproduction qui consiste à transférer un embryon d’une jument dite « donneuse », mère génétique, dans l’utérus d’une jument dite « receveuse » ou « porteuse » qui assurera la gestation, la mise-bas et l’élevage du poulain jusqu’au sevrage.

Bref historique

Les premiers transferts d'embryons équins ont été réalisés au Japon, en 1972, par Oguri et Tsutsumi. En France, les premiers transferts d'embryons chez l'espèce équine ont quant à eux été pratiqués en 1986.

Le transfert d'embryon en quelques chiffres

L’évolution du nombre de saillies en transfert d’embryon (TE) au cours des 10 dernières années (toutes races confondues) montre que les éleveurs ont de plus en plus recours à cette technique de reproduction, malgré une légère baisse en 2023 (moins de 1000 saillies/an des années 2000 à 2015, sauf en 2011, contre 2291 en 2022 et 2034 en 2023).

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Comparaison de l'évolution du nombre de saillies en TE par an de 2000 à 2023 toutes races confondues versus chevaux de selle © IFCE (d'après les données de l'outil Stats&Cartes)

Le TE est cependant très majoritairement (voire quasi exclusivement) utilisé sur les races de chevaux de selle chaque année, avec seulement quelques saillies réalisées sur des poneys (moins de 30 par an). Les saillies en TE chez les chevaux de course, les chevaux de trait et les ânes sont quant à elles anecdotiques et très variables d’une année sur l’autre.

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Évolution du nombre de saillies en TE par an de 2000 à 2023 chez les poneys, les chevaux de course, les chevaux de trait et les ânes © IFCE (d'après les données de l'outil Stats&Cartes)

À titre d’exemple, sur un total de 2034 saillies réalisées en TE en 2023, pas moins de 2018 concernaient des juments de selle, les 16 restantes ayant été effectuées sur des ponettes (15) et une jument de trait.

Pourquoi faire du transfert d'embryon ?

Le transfert d’embryon est une technique de reproduction qui présente divers intérêts :

  • Possibilité d’obtenir d’une même jument donneuse plusieurs poulains (de pères potentiellement différents) la même année ⇒ Ainsi, l'intervalle de génération diminue, ce qui favorise le progrès génétique.
  • Conciliation entre la poursuite d'une carrière sportive et une carrière de reproduction pour les juments de haute valeur génétique.
  • Mise à la reproduction de jeunes juments de 2 ans prometteuses, mais dont la croissance n'est pas assez avancée pour mener à bien la gestation ⇒ Cependant, toutes les juments n'étant pas encore pubères à cet âge, le taux de récolte est souvent plus faible.
  • Mise à la reproduction de juments âgées ou posant des problèmes au cours de la gestation ⇒ Le taux d’embryons récoltés risque cependant d’être plus faible.

Quelle réglementation ?

C'est le programme de sélection de chaque race qui définit dans son règlement de livre généalogique les techniques de montes autorisées :

  • Aujourd'hui, le transfert d'embryon (TE) est autorisé dans de nombreuses races telles que le Selle Français, l’Anglo-Arabe ou encore certaines races de poneys ou chevaux de trait.
  • Pour le Trotteur Français, les autorisations à réaliser le TE sont beaucoup plus particulières. Une seule gestation est autorisée par an, avec une donneuse ayant elle-même eu des performances en course ou ses descendants, mais n’ayant pas réussi à reproduire les 3 années précédentes, et après avis de la commission du programme de sélection.
  • La technique est interdite par les programmes de sélection du Pur-Sang et de l'AQPS.

Depuis 1997, dans la plupart des races de chevaux et poneys de selle, le nombre de produits par donneuse à naître par an n'est plus limité.

Pour pouvoir pratiquer le transfert d'embryon, il faut être titulaire de la licence de chef de centre d'insémination artificielle équine. Cette technique se pratique par une équipe de collecte agréée, sous la responsabilité d'un chef de centre et d'un vétérinaire (si le vétérinaire est chef de centre, il assurera la responsabilité seul).

Comment se déroule le transfert d'embryon ?

Suivi gynécologique et insémination de la jument donneuse

La chaleur de la donneuse est suivie de très près à l'échographie pour savoir à quel moment il faut inséminer, et surtout à quel moment précis la jument ovule. Cela permettra de pouvoir déterminer la date de collecte au plus juste après l'ovulation. La collecte est généralement réalisée entre 7 et 8,5 jours après l'ovulation. À ce stade, avant la collecte, il est encore impossible de savoir s'il y a eu fécondation ou pas, puisque la vésicule embryonnaire est trop petite pour être visible à l’échographie.

Choix de la jument receveuse

Le choix de la jument receveuse est important pour augmenter le taux de réussite du transfert d'embryon. Ainsi, il faudra choisir soit une jument dont la fertilité est connue, possédant de bonnes qualités maternelles, soit une jeune maiden (jument qui n’a jamais été saillie) d’un gabarit au moins équivalent à celui de la jument donneuse, pour un meilleur développement du poulain. Des recherches menées depuis une dizaine d’années ont montré l'importance du milieu utérin pendant la gestation sur le développement du fœtus in utero, puis sa croissance et son métabolisme après la mise-bas. Si le fœtus est capable de s'adapter à l'environnement utérin, il faudrait dans l'idéal pouvoir utiliser des receveuses de la même race que la donneuse pour avoir le moins d’impact possible sur le métabolisme du futur produit.

Actuellement en France, les juments receveuses utilisées sont pour la plupart des juments de race Trotteur Français (3/4) réformées des courses ; viennent ensuite s'ajouter des juments de selle. Les juments de races de trait sont moins utilisées. Le gabarit des trotteuses se rapproche davantage de celui des juments de sang. Cependant, le marché d’achat des juments trotteuses de réforme devient tendu et les prix augmentent.

Synchronisation de la (des) receveuse(s) avec la donneuse

La (les) jument(s) receveuse(s) doi(ven)t être synchrone(s) avec la donneuse, c’est-à-dire qu’elle(s) doi(ven)t ovuler dans la même période que la donneuse. Ceci nécessite un suivi gynécologique très précis, une induction des ovulations (souvent à l’aide du chorulon®) et éventuellement un traitement de synchronisation de la (des) receveuse(s) potentielle(s). En effet, les meilleurs taux de transfert (% de gestation à 14 jours après transfert d'un embryon) sont obtenus lorsque la receveuse est à J5, J6 ou J7 par rapport à l'ovulation de la donneuse (J0). Ainsi, la receveuse doit avoir ovulé le même jour que la donneuse ou 1 ou 2 jour(s) après. En dehors de cette plage de 3 jours, le taux de réussite est moindre.

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Synchronisation de la donneuse et de la (des) receveuse(s) avant récolte et transfert d'embryon © IFCE


La récolte de l'éventuel embryon

Le principe est simple : il s’agit de réaliser, à J7 ou J8 (J0 étant le jour de l’ovulation de la donneuse), un « lavage » de l’utérus de la jument donneuse avec un liquide de collecte pour récolter l’embryon (si embryon il y a). Après avoir introduit une sonde dans l’utérus de la jument, 3 à 4 siphonages successifs sont ainsi effectués avec un milieu tampon (conditionné en bouteilles ou en poches). L'utérus est ensuite massé (par voie rectale) afin de répartir le liquide jusque dans les cornes utérines. Le liquide est alors récupéré, puis filtré soit directement derrière la jument soit au laboratoire. Vient enfin l’étape de recherche de l’éventuel embryon, effectuée sous une loupe binoculaire, dans les milieux récupérés et filtrés. Cette opération doit être réalisée au laboratoire, dans une hotte à flux laminaire horizontal, afin de manipuler l'embryon dans une atmosphère la plus stérile possible. S'il y a un embryon, ce dernier doit d’abord être passé dans 10 bains de milieu de lavage afin de le débarrasser des cellules et desquamations du liquide utérin, avant d’être transféré dans l’utérus de la jument receveuse (ou porteuse).


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L'utérus de la jument donneuse est lavé avec un liquide de collecte © N. Genoux /IFCE

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Le liquide de collecte est soit directement récupéré et filtré derrière la jument... © B. Lemaire / IFCE

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... soit d'abord récupéré dans son contenant d'origine derrière la jument... © N. Genoux / IFCE


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... avant d'être filtré au laboratoire © N. Genoux / IFCE

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L'éventuel embryon est passé dans plusieurs bains de lavage au laboratoire... © N. Genoux / IFCE

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... avant d'être finalement recherché sous loupe binoculaire au laboratoire © N. Genoux / IFCE


Le transfert de l'embryon à proprement parler

Le transfert de l’embryon dans la receveuse est l’étape la plus délicate et qui demande le plus d'expérience. Il existe deux techniques possibles.

Le transfert cervical

L’embryon est déposé dans l’utérus de la receveuse en passant par le col de l’utérus. Conditionné dans une paillette, l’embryon est transféré avec un pistolet spécial. Il s’agit actuellement de la technique la plus utilisée sur le terrain. La difficulté technique réside dans le passage du col de l'utérus de la receveuse. L’objectif est de le manipuler le moins possible pour éviter la décharge de prostaglandines par l'utérus, qui compromettrait la future gestation.

Lorsque le col de l’utérus est devenu un peu difficile à passer (bonne jument receveuse mais multipare, ponette ou ânesse), il est possible d’utiliser la pince de Wilsher pour faciliter le transfert. Le principe est le suivant : après avoir posé un spéculum dans le vagin de la jument, la pince de Wilsher y est introduite jusqu’au col. Grâce à la pince, depuis l’extérieur, le manipulateur va pincer le col et exercer une légère traction pour le rendre rectiligne et ainsi faciliter le passage du pistolet de transfert. Cette technique nécessite 2 personnes, mais il a été montré que, lorsqu'elle est utilisée par des personnes qui débutent en transfert, elle donne de meilleurs résultats.

Le transfert chirurgical

L’embryon est injecté directement dans la corne utérine après incision du flanc de la receveuse et extériorisation d’une corne utérine. Des traitements post-opératoires de la receveuse sont nécessaires. Cette technique, nécessitant un vétérinaire chirurgien, n'est quasiment pas utilisée dans la pratique, compte-tenu du matériel, des soins et des traitements pharmacologiques à apporter lors de l'opération et par la suite.

La réfrigération de l'embryon

Il est possible de procéder à une réfrigération de l’embryon, ce qui permet de le transporter. L'embryon doit cependant être transféré dans l'utérus de la receveuse dans les 24 heures maximum. Cette technique permet de gérer la (les) receveuse(s) sur un autre site que la donneuse. Lorsque les conditions de manipulation et de conservation sont bien respectées, les résultats de transfert d'embryons réfrigérés ne montrent pas de différence avec des embryons frais. La réfrigération permet aux centres de collecte de travailler sans avoir la contrainte de la gestion d’un troupeau de juments receveuses.

La congélation de l'embryon

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Poulain issu d'un embryon cryoconservé © IFCE

Quatre poulains issus d'une collaboration de recherche entre l'INRA de Nouzilly (37) et la jumenterie du Pin (61) sont nés en 2014. L'originalité de ces poulains réside dans le fait que les embryons ont été au préalable biopsés et cryoconservés (c'est-à-dire conservés par le froid).

L'embryon équin présente toutefois plusieurs caractéristiques qui le rendent difficile à cryoconserver :

  • La capsule (membrane autour de l'embryon) formée à son arrivée dans l'utérus empêche les cryoprotecteurs de bien pénétrer dans l'embryon, contrairement à des embryons d'autres espèces qui ne présentent pas de capsule.
  • La taille très hétérogène et pouvant aller jusqu'à 700 µm à 7 jours est un frein à la cryoconservation, en raison des cristaux qui se forment dans la sphère liquidienne de l'embryon lors de la descente en température.

Pour s'affranchir de ces contraintes, l'embryon est d’abord vidé d'une grande partie de son liquide par micro-aspiration avant d'être mis au contact des cryoprotecteurs (alcool et lipides limitant la cristallisation par la glace). Il est ensuite congelé par vitrification (procédé de congélation ultra rapide par lequel l'embryon est plongé directement dans de l'azote liquide) à -196°C et conservé ainsi jusqu'au transfert.

En France, cette technique est encore en cours de développement dans les laboratoires de recherche, afin de la rendre applicable à plus grande échelle sur le terrain. Il est important d’avoir en tête que des embryons congelés issus de la technique de reproduction ICSI (pour « Intra Cytoplasmic Sperm Injection » en anglais, signifiant « injection intra-cytoplasmique de spermatozoïde ») supportent mieux la congélation. En effet, ces derniers n’ont pas de capsule puisque leur développement s’est fait in vitro (ils n’ont pas encore été au contact de l’utérus d’une jument). Actuellement, ces embryons représentent la majorité des embryons congelés commerciaux.

Des contraintes techniques à prendre en compte

Les principales limites sont d’ordre financier et technique :

  • Le suivi gynécologique de la donneuse et de la (des) receveuse(s) est lourd et doit être très précis (synchronisation…). Cela représente un coût très important, en plus des frais d’entretien de la (des) receveuse(s) qui viennent s’ajouter.
  • La technique requiert du personnel qualifié (au moins un vétérinaire et une personne titulaire de la licence de chef de centre d’insémination artificelle équine) et expérimenté.
  • La technique nécessite des équipements adéquats (laboratoire de transfert, barre d’échographie adaptée…) et du matériel de laboratoire sophistiqué (liquide de collecte, fournitures à usage unique et/ou stérilisées…) onéreux.

Quels résultats techniques dans la pratique ?

Sur le terrain, la réussite du transfert d’embryon dépend de nombreux paramètres :

  • Taux d'embryon par récolte = 30 à 60% ⇒ Les chances de récolter un embryon à chaque collecte dépendent fortement de l'âge de la donneuse et du type de semence utilisée. Les meilleurs taux sont observés avec de jeunes juments et avec de la semence fraîche, en comparaison avec de la semence congelée.
  • Taux de gestation à J14 par embryon transféré = 65 à 90% (diagnostic de gestation à 14 jours) ⇒ Ce taux dépend de l'état physiologique et de la conformation de la receveuse (état du col de l'utérus). Il peut aussi varier suivant le niveau d'expérience de l'opérateur.
  • Taux de gestation à J45 par embryon transféré = 50 à 80% (diagnostic de gestation à 45 jours) ⇒ Ce taux reflète la capacité de l'utérus de la jument receveuse à réaliser les différentes étapes de la placentation et du développement du fœtus.
Bien que rarissime chez l'espèce équine, une gestation gémellaire à l'issue du transfert d'un embryon n'est pas à écarter. Il est donc conseillé d'envisager cette éventualité lors des premiers diagnostics de gestation, idéalement avant J36.

Quel est le coût de cette technique ? Quel budget prévoir ?

La technique est onéreuse. Il faut prévoir un budget minimum de 3 000 €. Ce budget s'entend hors frais de génétique, de mise en place de la semence et de suivi gynécologique de la jument donneuse pendant les chaleurs. Ce budget comprend les frais de collecte et de transfert de l’embryon, puis de location de la jument receveuse pendant la durée de la gestation, généralement jusqu'au sevrage du poulain.

En raison de son coût élevé, cette technique s'adresse essentiellement à des reproducteurs de haute valeur génétique.

Quelles perspectives ?

Le développement de la technique du transfert d'embryon passe par une diminution des contraintes techniques et une augmentation de la productivité. Deux possibilités sont à l'étude pour remplir ces objectifs :

  • La congélation d'embryon produit in vivo, qui permet de dissocier la récolte de l’embryon de l'acte de transfert (en temps et en lieu différents). Cette technique faciliterait la gestion des receveuses (synchronisation…) et favoriserait les échanges commerciaux internationaux ainsi que la préservation de races menacées (cryobanque d'embryons).
  • La technique de superovulation, afin de récolter plusieurs embryons viables par récolte, augmentant la productivité de la collecte.

Ces deux possibilités ont fait et font encore l’objet de recherches scientifiques pour ce qui est de la congélation des embryons produits in vivo.

En savoir plus sur nos auteurs
  • Maud CAILLAUD Formatrice et coordinatrice de la formation « Inséminateur(trice) équin(e) » IFCE
  • Nelly GENOUX Ingénieure agronome - ingénieure de développement IFCE
Pour retrouver ce document: www.equipedia.ifce.fr
Date d'édition : 15 05 2024

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