Gérer le jeune cheval dans les périodes clés de sa vie

A l’élevage, le jeune cheval passe par différentes périodes clés. Certaines sont potentiellement stressantes et peuvent avoir des conséquences négatives immédiates (pertes de poids, blessures, agressivité…) ou futures (troubles du comportement : stéréotypies, mauvaise adaptation sociale…). La plupart des stéréotypies, ou vices d’écurie, apparaissent avant 18 mois. Une étude a montré que 18% des jeunes animaux présentaient un tic à l’appui, un tic à l’ours ou un tic ambulatoire (Waters et al., 2002). Ces périodes clés doivent donc être gérées le mieux possible de façon à limiter le stress des jeunes animaux et éviter de compromettre leur future carrière sportive.

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Par Claire NEVEUX - Marianne VIDAMENT - | 05.03.2019 |
Niveau de technicité :
poulains au pré
Sommaire

La naissance

poulinage dans un box
© A.C. Grison
La première demi-heure après la mise-bas est considérée comme une période critique pour la formation du lien mère-jeune (Houpt, 2002). Pendant cette période, la jument identifie le poulain comme le sien grâce à des comportements d’exploration (visuels, auditifs et olfactifs). L’attachement du poulain pour sa mère n’est pas complet avant sa deuxième semaine. Il est donc préférable de les maintenir isolés du groupe dans un petit paddock pendant cette période.


Une technique de manipulations post-natales appelée « imprégnation » est parfois pratiquée de façon à rendre le poulain plus facilement manipulable par l’Homme lorsqu’il grandit (méthode Miller). Toutefois, ses effets sur la relation à l’Homme sur le court et le long terme sont relativisés par certains chercheurs. Il apparaît que cette technique peut avoir des conséquences néfastes sur le comportement social ultérieur du poulain (attachement trop grand envers la mère, diminution du comportement de jeu, compétences sociales moindres, agressivité vis-à-vis des autres chevaux) et sur la relation à l'Homme (Henri et al., 2010). Certaines interventions humaines plus courantes autour du poulinage ont aussi été étudiées. Ainsi, il apparaît que le fait d’aider le poulain à la tétée (mise à la mamelle, maintien de la tête…) ou de le tenir et de le caresser dans les premiers jours ait des conséquences négatives sur la future relation Homme-poulain (méfiance) (Henry et al., 2006 et 2010).

En conséquence, il est conseillé de limiter au strict minimum les interventions autour du poulain après la naissance (injections de sérums, désinfection du cordon), surtout pendant les premières 30 minutes.

Entre la naissance et le sevrage

Afin de construire une relation de confiance avec le poulain, il est nécessaire que l’Homme ait des relations positives avec lui et qu’il ne soit pas systématiquement associé à des événements désagréables. Les approches indirectes semblent plus efficaces, surtout dans le très jeune âge. Il a été montré que le comportement du jeune poulain vis-à-vis de l’Homme est influencé par le comportement de sa mère et qu’apprivoiser les mères permettait d’apprivoiser les poulains. Ainsi, quand la jument est manipulée (pose du licol) et pansée en présence de son très jeune poulain qui, lui, est laissé libre, le poulain est plus curieux de l’Homme et se laisse plus approcher et toucher à 1 mois et à 1 an (Henry, 2005). C’est aussi le cas quand des juments avec leur poulain en liberté sont mis en présence d’objets inconnus du poulain, auxquels elles ont été habituées avant le poulinage : les poulains sont globalement moins peureux à 5 mois (Christensen, 2016).

Le sevrage

périodes clés de la vie du jeune cheval
© J. Chevret
A l’état naturel, le sevrage intervient vers la 40ème semaine, soit environ un mois avant la nouvelle mise-bas. Mais le lien entre la mère et le poulain n’est pas rompu totalement et le poulain reste à proximité de sa mère jusqu’à 2 ans environ. En élevage, le sevrage, qui a lieu le plus souvent entre 4 et 6 mois, provoque un stress important et peut conduire à divers problèmes physiques (blessures, perte d’état) ou comportementaux (période sensible pour l’apparition des stéréotypies).


Plusieurs méthodes sont préconisées pour limiter le stress lors de cette période (Houpt et al., 1985 ; Hoffman et al., 1995 ; McCall et al., 1987 ; Wulf et al., 2008) (voir la fiche Le sevrage du poulain, comment faire ?) :

  • Un sevrage en groupe au paddock est préférable à un sevrage où le poulain est seul au box ;
  • Si un sevrage en box est pratiqué, il est recommandé de sevrer les jeunes animaux deux par deux, tout en étant vigilant sur les risques d’agressivité, et d’agir en conséquence ;
  • Une séparation partielle de la jument et du poulain (se voir, s’entendre, se sentir et se toucher de part et d’autre d’une barrière à claire-voie, mais prévenir les tétées) est sans doute préférable à une séparation abrupte (jument emmenée dans un autre endroit). Il a été montré récemment qu’une séparation partielle derrière une telle barrière dont la durée augmente graduellement, associée à une distribution de nourriture, diminue le stress des poulains au sevrage (Lansade, 2016) ;
  • Le retrait des juments une à une à plusieurs jours d’intervalle semble moins stressant que le retrait de toutes les juments le même jour ;
  • Il est aussi conseillé de commencer la transition alimentaire en proposant au poulain une nourriture solide adaptée avant le sevrage, avec un supplément en minéraux pour lutter contre le stress de cette séparation.

Il est évident que chacun doit choisir la méthode la mieux adaptée à ses infrastructures, son type de chevaux, ses pratiques d’élevage…

Après le sevrage, le mode d’hébergement est aussi très important. Pour leur bon développement comportemental, il est conseillé de garder les poulains en groupe et de préférence à l’herbe (Heleski et al., 2002).

périodes clés de la vie du jeune cheval
Préférez un sevrage en groupe et à l'herbe © A. Laurioux
En pratique, les jeunes chevaux sont effectivement maintenus en groupe, parfois mixtes, mais uniquement du même âge. Or, une étude a montré qu’il est bénéfique d’inclure des chevaux adultes (choisis pour leur facilité de manipulation) dans ce groupe, de façon à favoriser les contacts sociaux positifs et ce, dès le jour du sevrage (Bourjade et al., 2008 ; Henry, 2012). Il a aussi été montré qu’après une période d’isolement social, les jeunes mâles sont plus agressifs envers leurs congénères (Christensen et al., 2002). Il est donc conseillé de les maintenir en groupe le plus longtemps possible.


Il est intéressant de souligner que le lendemain du sevrage ou d’une mise en box, le poulain est plus réceptif aux manipulations et apprentissages proposés par l’Homme (Lansade, 2012). De plus, les acquis lors des apprentissages au moment du sevrage auraient tendance à perdurer plus longtemps que ceux pratiqués juste après le poulinage (Lansade, 2004 ; Lansade, 2005).

La transition vers l'âge adulte

Selon sa race et son utilisation, le jeune cheval est souvent soumis à des périodes de transition entre l’élevage et la compétition, que ce soit la préparation pour les ventes, le débourrage ou le pré-entraînement.

périodes clés de la vie du jeune cheval
Le débourrage : une étape délicate mais déterminante pour la future vie de cheval de selle du poulain © A. Laurioux
Ces périodes peuvent se révéler stressantes et engendrer des risques pour le jeune cheval et les soigneurs qui s’en occupent. Pour faciliter ces transitions, il est possible d’agrémenter la vie quotidienne des chevaux avec des enrichissements environnementaux : alimentaires (stimulation du goût, différents endroits d'alimentation…), modifications du milieu de vie (hébergement), stimulations sensorielles (visuelles, tactiles, auditives et olfactives) et situations nouvelles (isolement lors du passage à la douche…) (Lansade et al., 2011).


Ainsi, un programme composé de divers enrichissements environnementaux a été mis en place chez des yearlings de race pur-sang en préparation pour les ventes. Des conséquences positives ont été observées : une réaction moindre face au stress d’isolement social dans un lieu inconnu (les boxes de la structure des ventes) et une diminution des comportements dangereux en main (cabrés, écarts, morsures…).

Lors des premiers apprentissages (débourrage), il a été montré que le mode d’hébergement des jeunes chevaux est très important. Ainsi, ils semblent mieux s’adapter à l’entraînement lorsqu’ils sont hébergés en groupe (paddock ou stabulation) et sont moins agressifs envers l’Homme (Rivera et al., 2002 ; Sondergaard et Ladewig, 2004).

Ce qu'il faut retenir

Les différentes méthodes issues de la recherche scientifique présentées ci-dessus permettent aux éleveurs de limiter les risques inhérents à ces périodes clés afin de mieux préparer le jeune cheval à sa future carrière. Différentes périodes clés particulièrement stressantes sont exposées ici, mais il est nécessaire de se rappeler que toute intervention inhabituelle (vétérinaire, transport, maréchal-ferrant) peut susciter un stress. Il est donc important d’être constamment vigilant et de s’adapter à chaque jeune cheval et à chaque situation.

En savoir plus sur nos auteurs
  • Claire NEVEUX Ingénieure de recherche en bien-être équin - Ethonova
  • Marianne VIDAMENT Docteur vétérinaire - ingénieure de projets & développement « Éthologie » et « Médiation équine » IFCE

Bibliographie

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Pour retrouver ce document: www.equipedia.ifce.fr
Date d'édition : 15 05 2024

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