Résistance des parasites digestifs aux vermifuges

Certains vermifuges sont de nos jours moins efficaces contre certains parasites digestifs des équidés. Des résistances des parasites vis-à-vis des antiparasitaires sont présentes en France et sont assez répandues pour certaines. Si ces résistances continuent à se développer, cela pourrait devenir une préoccupation majeure pour la santé des équidés. C’est l'une des raisons pour laquelle une gestion plus durable de l’infestation parasitaire doit se généraliser chez les équidés afin de limiter le développement de nouvelles résistances.

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Par Marie DELERUE - | 09.04.2021 |
Niveau de technicité :
vermifuges
Sommaire

Comment expliquer l’apparition et le développement de résistances des parasites aux antiparasitaires ?

La résistance se définit comme la capacité d’un parasite à survivre à un traitement qui est généralement efficace contre la même espèce et le même stade de parasite (adulte ou larve).

Un parasite peut acquérir au cours de sa vie une résistance vis-à-vis de tel ou tel antiparasitaire de manière spontanée suite à une mutation génétique. Ce phénomène très rare (seuls quelques parasites développent cette résistance parmi des millions de parasites) est naturel.

Le parasite ayant acquis une résistance vis-à-vis de cette molécule survivra après vermifugation, pourra se reproduire et transmettre ce gène de résistance à sa descendance. Au contraire, les parasites n’ayant pas acquis cette résistance seront éliminés après vermifugation. Si la vermifugation est réalisée fréquemment, les parasites non résistants n’auront pas eu le temps de se reproduire en amont de celle-ci.

La vermifugation systématique (elle concerne l’ensemble des équidés) et fréquente des équidés ne provoque pas en elle-même la mutation chez les parasites, mais favorise la multiplication des parasites résistants aux détriments des parasites sensibles. Au fil des années, ces parasites résistants deviennent prépondérants et les vermifuges deviennent inefficaces.

Ce phénomène de résistance est inévitable lorsqu’on vermifuge les équidés. Cependant plus cette vermifugation est fréquente, plus les résistances se développent rapidement dans une structure équine.

Les équidés présents dans une même structure et côtoyant les mêmes pâtures et paddocks partagent une même communauté de parasites. Cette résistance concerne alors toute l’écurie. Les mouvements d’équidés entre écuries étant fréquents, ces parasites résistants se transmettent ensuite d’une écurie à l’autre.

Mécanisme de développement des résistances aux parasites digestifs dans une structure équine
Schéma 1 : Mécanisme de développement des résistances dans une structure équine (© M. Delerue, IFCE ; The Noun Project)

Les antiparasitaires sont-ils encore efficaces ?

Les chevaux peuvent être infestés par une grande diversité de parasites. Seuls les principaux parasites des équidés (les plus communs et/ou les plus pathogènes) sont présentés ci-dessous.

Principaux parasites digestifs des équidés
Schéma 2 : Principaux parasites des équidés (© M. Delerue, IFCE ; The Noun Project)

 


Les antiparasitaires disponibles en France pour lutter contre ces parasites des équidés sont limités en nombre.

Activité des antiparasitaires lors de leur mise sur le marché

Le tableau ci-dessous présente l'activité des antiparasitaires disponibles en France vis-vis des principaux parasites digestifs des équidés lors de leur mise sur le marché.

Activité des antiparasitaires disponibles en France vis-vis des principaux parasites digestifs des équidés lors de leur mise sur le marché
Activité des antiparasitaires disponibles en France vis-vis des principaux parasites digestifs des équidés lors de leur mise sur le marché

Les résistances des parasites aux vermifuges ont surtout été étudiées et mises en évidence chez les petits strongles et les ascaris. Des suspicions de résistances des oxyures aux lactones macrocycliques ont également été rapportées en Europe. Aucune étude n’a montré l’existence de résistances parmi les grands strongles, les anoplocéphales et les gastérophiles, mais ces résistances sont plus difficiles à mettre en évidence que pour les ascaris et les petits strongles. Il est possible que ces résistances existent mais ne soient pas encore mises à jour.

Activité des antiparasitaires de nos jours, suite au développement des résistances

Le tableau ci-dessous présente l'activité des antiparasitaires disponibles en France vis-vis des principaux parasites digestifs des équidés de nos jours, suite au développement des résistances.

Activité des antiparasitaires disponibles en France vis-vis des principaux parasites digestifs des équidés de nos jours suite au développement des résistances


Résistances des ascaris vis-à-vis des antiparasitaires

Des résistances des ascaris aux lactones macrocycliques (ivermectine et moxidectine) ont été rapportées et sont fréquentes dans de nombreux pays du monde, y-compris en Europe. À ce jour, seules deux études ont rapporté des cas de résistance vis-à-vis du pyrantel et du fenbendazole, respectivement aux États-Unis et en Australie. Ces résistances semblent cependant être rares.

En France, une seule étude menée en Normandie en 2010 a investigué l’efficacité de l’ivermectine dans 3 élevages dans lesquels cette résistance était suspectée par les vétérinaires traitants. Cette résistance a été confirmée dans ces 3 élevages. Des études complémentaires sont nécessaires pour mieux appréhender la situation actuelle.
Résistances des petits strongles vis-à-vis des antiparasitaires

Des résistances des petits strongles au fenbendazole et au pyrantel ont été rapportées dans le monde entier, y-compris en Europe et sont fréquentes. Les lactones macrocycliques sont des antiparasitaires rémanents, c’est-à-dire que leur activité persiste pendant plusieurs jours. Certaines études ont montré que la durée d’efficacité de ces lactones était moins longue dans certaines exploitations. Cela pourrait être un indicateur précoce de la mise en place d’une résistance vis-à-vis de ces molécules.

Deux études récentes ont été réalisées en France. Elles ont montré la présence d’une résistance au fenbendazole dans la plupart des exploitations suivies et une résistance au pyrantel dans quelques exploitations. Aucune résistance aux lactones macrocycliques n’a en revanche été mise en évidence. La diminution de leur durée d’efficacité n’a pas été mesurée en France. Cependant, une étude a montré que quelques chevaux excrétaient des œufs 30 jours après un traitement à l’ivermectine alors que lors de sa mise sur le marché, les chevaux ne commençaient à excréter des œufs qu’à partir de 9 semaines.

Quels risques ?

Les résistances des petits strongles et des ascaris vis-à-vis de certains antiparasitaires sont préoccupantes à moyen et long terme pour la santé des équidés. En effet, ces deux parasites, lorsqu’ils sont présents en quantité importante dans l’organisme des équidés peuvent être à l’origine de signes cliniques plus ou moins graves, voire de mortalité. De plus, seules 3 familles d’antiparasitaires sont disponibles sur le marché pour les équidés et aucune nouvelle molécule n'est en cours de développement actuellement. D’autre part, cette résistance est généralement irréversible. Il est donc indispensable de préserver les molécules encore efficaces pour préserver la santé des équidés à long terme. Le risque est de voir apparaître dans des structures une grande quantité de parasites résistants à plusieurs familles d’antiparasitaires et qu’il ne soit plus possible d’éliminer ces parasites.

Comment limiter le développement de ces résistances dans une exploitation ?

De nos jours, un programme de vermifugation correct devrait s’attacher à établir un compromis entre deux objectifs :

  • Garder les équidés en bonne santé en évitant une infestation conséquente.
  • ET limiter le développement des résistances.

Vers une vermifugation raisonnée

Pour permettre cette gestion durable de l’infestation parasitaire, il s’agit, lors de la vermifugation, de garder un nombre important de parasites non soumis au vermifuge : on parle de population refuge. Plus la proportion de parasites dans la population refuge est importante, moins les résistances se développent rapidement. Il s’agit notamment :

  • D’éviter de vermifuger, quand cela est possible, en hiver, période pendant laquelle les larves de parasites sont peu nombreuses sur les parcelles (faible population refuge).
  • De vermifuger aux périodes à risque d’infestation importante : pour cela, un outil d’aide à la décision - Parasit’SimEq (Simulation du risque parasitaire au pâturage) - est en cours d’élaboration et permettra de déterminer le moment idéal pour vermifuger un groupe d’équidés.
  • Dans un groupe d’équidés, ne vermifuger que les jeunes équidés (< 3 ans) et les équidés excrétant beaucoup d’œufs de parasites dans leurs crottins et participant à la contamination des parcelles, grâce à la réalisation de coproscopies.

Des pratiques à éviter

D’autres pratiques favorisent le développement des résistances :

  • Le sous-dosage des vermifuges : le risque est d'administrer une dose infra-thérapeutique qui va tuer seulement les parasites les plus sensibles → Évaluez le poids de votre cheval régulièrement pour savoir quelle dose lui administrer.
  • L'utilisation de vermifuges non destinés aux équidés : leur efficacité chez les chevaux n'a pas été testée. Même lorsque la molécule est identique, les excipients et la voie d'administration peuvent être différents : il y a donc un risque de sous-dosage → N'utilisez que les antiparasitaires autorisés chez les équidés.
  • L'introduction fréquente de nouveaux chevaux dans une exploitation, qui sont potentiellement infestés par des parasites résistants → Il n’est pas possible d’éviter complètement l’entrée de parasites résistants. Il est conseillé de réaliser une coproscopie avant l’introduction d’un équidé : si celui-ci excrète beaucoup d’œufs, il est conseillé de le vermifuger avec de la moxidectine car aucune résistance n’a été mise en évidence pour l’instant et qu’elle a un spectre d’activité large. Elle est notamment efficace contre les différents stades des petits strongles (adultes et larves).
  • L'alternance rapide entre différents antiparasitaires, qui favorise les résistances croisées vis-à-vis de plusieurs antiparasitaires.
Ne pas confondre les molécules anthelminthiques qui sont peu nombreuses (3 classes disponibles contre les vers ronds) et les spécialités vétérinaires, très nombreuses. Une molécule peut être contenue dans plusieurs spécialités.
  • Le changement de pâture juste après la vermifugation : les chevaux excrètent alors potentiellement dans leurs crottins uniquement des œufs de parasites résistants. Si les chevaux sont placés sur une nouvelle pâture peu contaminée, cette population de parasites résistants peut coloniser la pâture et devenir dominante. Au contraire, si les chevaux sont gardés sur la même pâture, ces parasites résistants seront dilués parmi les parasites sensibles déjà présents sur la pâture et non sélectionnés par le vermifuge.

Il n’est pas possible de proposer un protocole de gestion du parasitisme qui soit adapté et faisable dans toute écurie : contactez votre vétérinaire pour élaborer un programme sur-mesure.

Vidéo La vermifugation raisonnée : pourquoi et comment ? ► De nos jours, on ne doit plus traiter systématiquement et fréquemment tous les chevaux adultes, car cela favorise l'apparition de résistances des parasites aux vermifuges. Le nombre de molécules disponibles sur le marché pour la vermifugation des chevaux est limité et la plupart des parasites ont développé des résistances vis-à-vis des vermifuges. Cette vidéo fait un état des lieux des résistances en France, ainsi que des bonnes pratiques pour préserver l'efficacité des vermifuges.

Comment savoir si des résistances sont présentes dans une exploitation ?

Le niveau de résistance peut être très variable d’une écurie à une autre en fonction des pratiques d’élevage antérieures. Il est donc important de suivre ces résistances régulièrement (par exemple tous les 3 ans) dans chaque exploitation pour savoir quels vermifuges utiliser.

Mesurer l'efficacité des vermifuges

Pour mesurer l’efficacité des vermifuges, on réalise un test de réduction d'excrétion fécale des œufs. Pour cela, on réalise deux coproscopies :

  • La première avant un traitement avec l’antiparasitaire qu’on souhaite tester.
  • La seconde 14 jours après ce traitement.
J-1 à J-7
⇒ 1ère coproscopie

Cette première coproscopie permet de quantifier le niveau d'excrétion initial. Elle doit être réalisée sur un minimum de 12 chevaux (pour obtenir un résultat significatif), en ciblant les chevaux potentiellement forts excréteurs (par exemple, les jeunes chevaux de 2 à 5 ans qui, du fait d'une immunité moindre, sont souvent plus infestés que les chevaux adultes). Sur un effectif plus faible, ce test peut cependant être réalisé, mais les résultats doivent être interprétés avec précaution.

J0
⇒ vermifugation
Les chevaux forts excréteurs (c'est-à-dire plus de 200 œufs par gramme de crottins) sont vermifugés avec la molécule pour laquelle on veut tester la résistance.
J14
⇒ 2ème coproscopie
Une deuxième coproscopie est réalisée sur les chevaux traités à J0.

On compare ensuite la moyenne du nombre d’œufs excrétés avant et après traitement. L'interprétation des résultats est délicate : le vétérinaire décidera, en fonction des résultats, de continuer à utiliser la molécule ou non dans l’exploitation. 

On mesure une résistance globale dans l'exploitation et non une résistance par cheval. En effet, à moins qu'il n'y ait aucun contact entre les chevaux, ceux-ci partagent les mêmes parasites par l'intermédiaire de l'environnement (pâtures, paddocks, boxes…). Si une résistance est mise en évidence, elle concerne tous les chevaux de l'exploitation.

Si des résistances sont présentes, il ne s’agit pas de se reporter sur les antiparasitaires encore efficaces en gardant une fréquence importante de vermifugation. De bonnes pratiques d’élevage devraient être mises en place pour limiter le recours aux vermifuges tout en limitant l’infestation des équidés. Voici quelques exemples : 

  • Mise en place d’un pâturage tournant qui retarde l’infestation des équidés.
  • Ramassage des crottins dans les paddocks de détente réservés aux poulains et aux jeunes chevaux.
  • Réserver des parcelles aux chevaux de passage si ceux-ci sont nombreux.

Poulains : tester l'efficacité des lactones macrocycliques contre les ascaris

Chez les poulains, la principale cible des vermifuges avant l’âge de 6 mois sont les ascaris. Les résistances des ascaris aux lactones macrocycliques étant répandues, celles-ci ne devraient être utilisées qu’après confirmation de leur efficacité, d’autant que l’infestation par les ascaris peut avoir des conséquences importantes sur la santé des poulains.

Adultes : tester l'efficacité du fenbendazole/pyrantel contre les petits strongles

De même, chez les adultes, la principale cible des vermifuges sont les petits strongles. Un contrôle de l’efficacité du fenbendazole vis-à-vis des petits strongles est indispensable avant son utilisation (notamment chez de jeunes chevaux). Il est vivement conseillé de vérifier également l’efficacité du pyrantel.

    Ce qu’il faut retenir

    Les résistances des petits strongles et des ascaris aux antiparasitaires sont répandues en France.

    Avant d’utiliser les antiparasitaires pour lesquels des résistances ont été rapportées, il est important de savoir si elles sont efficaces dans l’exploitation.

    Un programme de gestion durable du parasitisme doit être mis en œuvre : il doit être adapté aux contraintes de chaque structure. Il se base notamment sur la réalisation de tests diagnostiques (coproscopies) et sur des modifications des pratiques d’élevage pour limiter le recours aux vermifuges.
    En savoir plus sur nos auteurs
    • Marie DELERUE Docteure vétérinaire - experte sanitaire spécialité équine et ingénieure de recherche & développement IFCE

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    Pour retrouver ce document: www.equipedia.ifce.fr
    Date d'édition : 10 05 2024

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